7. Le café

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Je me réveille au son du bip habituel de mon bracelet. J’ouvre les yeux, l'esprit encore ensommeillé. 

Mon ventre se noue lorsque les événements de la veille me reviennent. Je jette un bref coup d’œil sur mon Conjoint. À ma grande surprise, sa couche est vide. Il est déjà levé ?  Mon bracelet serait-il déréglé ? Non, on ne dirait pas. C’est donc Adrien qui est sorti du lit sans attendre le signal du Système. 

Curieux. 

Je sors mes jambes hors de sous la couverture et reste assis quelques secondes. La nuit a chassé mon chagrin. L’idée de commencer aujourd’hui mon travail d’Homme me met de bonne humeur. Je vais enfin jouer un rôle actif dans la cité. 
J’enfile une blouse par dessus mes habits de nuit et quitte la chambre. 

Adrien se trouve dans la cuisine, déjà douché et habillé. Ses cheveux sont encore humides et les gouttes d’eau brillent à la lumière des néons. Il est beau. Cette pensée que je n’avais jamais eue pour aucune Fille s’impose soudain en moi, me faisant rougir. 

— Bonjour. 

Il me dit ce simple mot d’un ton neutre et me regarde avancer vers lui. Il est debout, appuyé au plan de travail. 

— Bonjour. 

Je m’arrête juste à côté de lui. Nous sommes si proches qu’il n’aurait qu’à tendre la main pour me toucher. Peut-être refroidi par ma réaction de la veille, il ne cherche pas à le faire. 

— Pourquoi t’es-tu levé alors que le temps de sommeil courait encore ? 

J’essaie de ne pas donner à cette question un ton accusateur. Cela ne doit pas bien fonctionner car je vois mon Conjoint se renfrogner. 

— Je n’arrivais plus à dormir, c’est tout. 

Je tire une chaise pour m'asseoir autour de la table. 

— Tu devrais demander des médicaments pour trouver le sommeil, je lui conseille. Il n’est pas bon de ne pas dormir le nombre d’heures préconisées par le Système. Être fatigué nuit à l'efficacité. 

Je scrute avec inquiétude ses cernes. Adrien semble souffrir de sévères insomnies. 

— Je n’en ai pas besoin, d’accord ? 

Il a prononcé cette phrase avec agacement. Embarrassé, je baisse les yeux. Mon Conjoint semble regretter son emportement et pose une tasse fumante devant moi. 

— Je t’ai préparé cela. 

— Merci. 

Je renifle. Il s’agit bien de café. La boisson que prennent les Hommes et les Femmes le matin. Mon père m’avait un jour laissé tremper mes lèvres dans sa tasse. Je n’avais pas apprécié le goût. 

Je prends prudemment une petite gorgée et grimace. Je n’aime toujours pas cela. En face de moi, Adrien avale son café avec délectation. 

— Rien que pour cela, ça valait la peine de devenir adulte, remarque-t-il en posant sa tasse vide dans l’évier. Si tu n'as pas l’intention de boire la fin, file-la moi. 

Je le regarde, surpris. Jamais mes parents ne m’auraient fait une telle proposition contraire à tout principe. 

— Le Système estime que je dois ingurgiter cette quantité, je remarque avec réprobation. Je me dois donc de finir cette tasse. 

Mon Conjoint lève les yeux au ciel. 

— Pourrais-tu t’abstenir de citer le Système toutes les trois secondes ? 

J’ouvre la bouche un peu plus grand. Je n’ai encore jamais entendu quelqu'un refuser d’entendre les préceptes du Système. Mais peut-être y a-t-il d’autres coutumes dans la dixième cité ? Après tout, je suis nouveau ici. Je vais devoir m’habituer. 

— Je te prie de m’excuser. 

Il me répond par un simple grognement agacé et passe sa main dans ses cheveux. 

Je serre fermement ma tasse et termine mon café le plus vite possible. Je fais passer le goût avec le verre de jus de fruit que le Système nous demande également de boire tous les matins. 

— Ton centre de nourriture est sur la route du bâtiment des ingénieurs, m’annonce Adrien lorsque j’ai fini de mettre nos couverts dans la machine à laver. On peut faire un bout de chemin ensemble, si tu veux. 

Mon Conjoint a l’air presque gêné en me proposant cela. Comme s’il s’attendait à ce que je refuse. Ce que je n’ai pourtant aucune raison de faire. 

— Volontiers, je réponds avec un sourire poli. 

Je me douche et m'habille rapidement. Mon Conjoint m’attend dans l’entrée. Il ouvre la porte et nous sortons. Contrairement aux prédictions que m’avait faites ce dernier dans l’aéronef, il fait un temps magnifique bien que froid. Il paraît étonnant de se dire qu’un violent orage a eu lieu pas plus tard que le jour d’avant. Comme mon Conjoint ne paraît pas disposé à faire la conversation, je regarde autour de moi avec curiosité. Les quartiers d’habitation de la dixième cité sont exactement semblables à ceux de mon ancien foyer. On y retrouve les mêmes maisonnettes aux murs bariolées. Des couples sont en train d’en sortir. Certains d’entre eux sont accompagnés d’enfants qu’ils vont déposer à l’école. Ils se font entre eux de joyeux signes et s’adressent des salutations. Certains nous regardent passer, mais détournent le regard, embarrassés. Personne ne sait très bien comment réagir face à notre situation inédite. 

— Ils vont finir par s’habituer, marmonne Adrien avec indifférence. Après tout, nous ne faisons qu’obéir au Système. 

Je devrais me réjouir d’entendre enfin mon Conjoint se référer au Système. Il a cependant prononcé ce dernier mot avec une ironie qui me met mal à l’aise. 

Nous retombons dans le silence avant de nous arrêter à un croisement. À notre gauche s’élève un grand entrepôt. 

— C’est ton centre de nourriture, m’informe Adrien. Nous nous séparons ici. 

— D’accord. 

Nous restons plantés l’un face à l’autre, ne sachant comment nous dire au revoir. Mon père fait toujours un bisou sur la joue de ma mère lorsqu’ils se séparent. Cependant, je ne m’imagine pas du tout en faire de même avec Adrien. Lui non plus, visiblement. Il finit par me faire un vague signe de la main. 

— À ce soir. 

Il se détourne aussitôt pour reprendre sa route. 

Le Conjoint (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant