22. Perdu

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Bien entendu, il pleut. Après avoir enfilé un manteau chaud, je saisis le parapluie qu’Adrien n’a pas pris ce matin. Je sors dans la rue et me dirige vers l’établissement dans lequel étudie Adrien, espérant le croiser en chemin. J’arrive cependant jusqu’au bâtiment sans rencontrer âme qui vive. Toutes les lumières en sont éteintes et il me paraît donc peu probable que mon Conjoint s’y trouve encore. 
L’inquiétude me comprime l’estomac. Je suppose que l’on m’aurait prévenu si Adrien avait eu un accident… 

Je reste planté sur place un moment, indécis. Je devrais rentrer à la maison mais ne peux m’y résoudre. Je suis soudain pris d’une illumination. Je crois savoir où pourrait se trouver Adrien : au bord du fleuve qui borde la cité. Ne m’avait-il pas dit un jour qu’il s’agissait de son refuge ? Sans doute s’y est-il rendu suite à notre dispute. 

Revigoré, je me mets aussitôt en route. Je retrouve sans difficulté la route menant jusqu’aux vergers. Je les traverse au pas de course. Puis m’arrête devant un chemin en terre battue. Est-ce bien celui que nous avions emprunté pour gagner le fleuve ? Je ne saurais le dire dans l’obscurité galopante. La nuit tombe vite et il n’y a aucun lampadaire dans les parages. 

J’agite nerveusement les doigts en scrutant l’horizon. La raison voudrait que je retourne dans notre cellule familiale et que je prévienne les autorités de la disparition de mon Conjoint pour que des recherches soient mises en place. Dans le même temps, Adrien m’avait fait remarquer qu’il fallait que nous évitions d’attirer trop l’attention sur nous. Et je ne veux surtout pas lui causer des ennuis… 

Secouant la tête, je fais un pas en avant pour me mettre en route. Les minutes passent et je ne trouve ni fleuve ni Conjoint. Bientôt, je ne distingue plus rien à l’horizon. La pluie redouble d’effort. Des rafales de vent me poussent en arrière. L’une d’entre elles retournent mon parapluie et je perds mon seul abri. 

Je dois me rendre à l’évidence : je me suis perdu. Et je me suis comporté comme un idiot. J’aurais dû rester à la maison plutôt que de m’obstiner à trouver un Conjoint récalcitrant. Je n’ai plus le choix. Je dois faire demi-tour. Le couvre-feu ne va pas tarder. Si ce n’est pas déjà trop tard. 
Je lève le bras pour consulter mon bracelet. J’ai un petit choc en trouvant son écran totalement noir, comme le jour de la fête de la Cohésion. Je tapote plusieurs fois sur l’appareil dans le vain espoir de le ranimer. 

Je commence à paniquer sérieusement. Je ne trouve pas Adrien, mon lien avec le Système est coupé, je n’ai pas la moindre idée de où je suis et il fait de plus en plus sombre. Appuyé contre le tronc d’un arbre, je prends plusieurs inspirations pour me calmer. 

— Adrien ! je hurle aussi fort que je peux. 

Si mon Conjoint est dans les parages, peut-être m’entendra-t-il ? 

Je pousse un cri en voyant une bête nocturne passer juste devant moi. C’est un petit animal noir avec des ailes. La nuit est soudain empli de bruits effrayants. 

Puis j’entends quelque chose. 

— Max ! crie la voix au loin. Maxence ! 

Mon coeur fait un bond. Mon Conjoint ! C’est lui qui m’appelle. J’ouvre la bouche et me mets à mon tour à hurler : 

— Adrien ! Adrien, je suis là ! 

Je tends l’oreille, anxieux. Il fait à présent noir comme un four et je peine à discerner mes propres membres. J’entends des bruits de pas écraser des brindilles. Une silhouette sombre approche. Je reconnais les traits de mon Conjoint lorsqu’il arrive à moins de deux mètres de moi. 

— Bon sang, Max, bredouille Adrien, le visage défait. 

Je me jette dans ses bras et il me serre contre lui. Ses vêtements sont trempés par la pluie. Nous nous blottissons l’un contre l’autre en tremblant. Mon soulagement est tel que j’oublie complètement que je suis censé être en colère contre mon Conjoint. 

— Je me suis perdu, je murmure d'une voix faible. Je te cherchais… J’ai pensé que tu serais là. 

— Tu avais raison, petit Conjoint. Tu avais raison. Je suis désolé d’avoir disparu. Je… j’avais besoin d’être seul un moment. 

Je colle mon visage contre son torse. Les reproches que je prévoyais de lui déclarer ne parviennent pas à franchir mes lèvres. Je suis simplement soulagé d’avoir retrouvé Adrien. 

Mon Conjoint attend que mes tremblements se calment avant de me repousser avec douceur. Il me sourit tendrement. 

— Rentrons à la maison, d’accord ? Nous parlerons plus tard de cette histoire d’enfant, je te le promets. 

Il me prend par la main et j’enroule mes doigts autour des siens. 

— Rentrons à la maison, j’approuve. 

Avec Adrien à mes côtés, le chemin de terre ne me paraît plus aussi effrayant ni aussi long. Bientôt, nous voyons les lumières rassurantes des lampadaires de la cité. Je me rappelle soudain le dysfonctionnement de mon bracelet. Lorsque j’appuie à nouveau sur son bouton, je constate avec soulagement qu’il s’allume à nouveau. Ce qui me permet de découvrir que l’heure du couvre-feu est dépassée depuis un bon moment. 

 — Nous allons avoir des problèmes, je gémis en m’arrêtant net.

Mon Conjoint secoue la tête. 

— Tout ira bien, Max. Nous n’aurons aucun problème si nous ne nous faisons pas prendre. 

— Mais…, je bredouille en tremblant. Mais… 

Adrien agrippe mon bras avec force. 

— Écoute, Max, quand nous serons au milieu des habitations, il ne faudra plus faire aucun bruit. Les Citoyens seront au lit et ne devraient pas nous remarquer. 

Je me dandine sur place, horriblement stressé. De toute ma vie, je n’ai jamais rien fait d’aussi interdit. 

— Tout ira bien, me répète mon Conjoint avec aplomb. 

Son ton est si assuré que je parviens presque à le croire. 

Les lumières de la ville sont de plus en plus proches. Nous quittons le sentier pour nous engager sur la route goudronnée qui mène vers notre quartier. Les rues sont entièrement vides et l’on n’entend que le clapotis de la pluie et le gémissement du vent. Mes vêtements trempés me collent à la peau et le moindre de mes mouvements est difficile. Mon cœur bat si fort que je me sens sur le point de m’évanouir. Je sursaute à chaque bruit, terrifié. De son côté, Adrien avance sans inquiétude apparente, comme s’il rentrait en douce tous les soirs. Sa main chaude me rassure un peu. 

Adrien me tire soudain sur le côté. Nous atterrissons dans un jardinet muni de buissons. 

— Baisse-toi, me murmure-t-il. Pas un bruit. 

Je lui obéis et m’agenouille sur le gazon détrempé. Mon Conjoint c’est lui aussi aplati à mes côtés. Un faisceau de lumière apparaît sur la route, accompagné de bruits de pas. Une ronde de Gardiens. 

Le Conjoint (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant