52. Le pistolet

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Je me réveille le lendemain matin dans les bras de mon mari, ce qui est, bien sûr, une excellente façon de commencer sa journée. Adrien ne dort plus. Ses yeux sont grands ouverts et il me contemple avec un petit sourire heureux. 

Je baille et me rapproche encore plus de lui. Je fais tourner ma bague. C’est un geste qui m’est devenu très familier et rassurant, maintenant. 

— Bonjour, je murmure timidement. 

Il me fait un bisou sur la joue. 

— Bonjour mon amour. 

Je sens mes joues chauffer, ce qui est très embarrassant. Cela fait longtemps que nous sommes ensemble, à présent, et pourtant Adrien continue à me faire rougir. Je me demande si j’arriverai un jour à rester impassible. Je ne le pense pas. Et surtout pas ce matin. Nous sommes toujours nus, recouverts du sac de couchage. Je n’ai pas froid, pourtant, parce que mon mari me tient bien chaud. 

Je secoue la tête pour me changer les idées. 

— Il faudrait nous lever, non ? 

Adrien soupire. 

— Oui. Il faudra bien aller les affronter un jour… 

Je cligne des yeux. 

— Affronter qui ? Les Citoyens. 

À ma grande surprise, mon mari se met à glousser. 

— Non mon chéri. Ça, ça sera pour dans quelques jours. 

Je ne comprends plus rien. 

— De qui parles-tu ?

Le jeune homme se mord la lèvre, comme s’il hésitait à me répondre ou non. 

— Bah, tu verras bien, déclare-t-il finalement. 

Il repousse le sac de couchage et attrape ses vêtements. J’en fais de même de mon côté. Mes membres sont engourdis et je vois m’y remettre à plusieurs fois avant de réussir à boutonner ma veste. Je suis encore fatigué. J’aurais bien passé plus de temps à dormir, mais nous ne sommes pas là pour nous amuser. 

Adrien me fait un dernier bisou et tire sur la fermeture pour ouvrir la tente. 

Nous trouvons les autres membres du groupe rassemblés autour d’un feu. Leurs yeux se tournent aussitôt vers nous et ils nous jettent des regards en coin. L’un des garçons se met même à ricaner franchement et je commence à me sentir mal à l’aise. Qu’est-ce qu’ils ont ? 

— Déjà debout ? nous lance le garçon qui riait. Vous semblez pourtant ne pas avoir beaucoup dormi… 

Adrien se renfrogne et je me sens blêmir. Est-ce qu’il veut dire que… Que… 

Une fille prend à son tour la parole, confirmant mes pires craintes. 

— Si vous pouviez la prochaine fois vous abstenir d’un tel boucan… Il y en a qui ont besoin de sommeil, ici. 

Je suis si gêné que je reste planté sur place, souhaitant disparaître sous terre. Je regarde le sol, n’osant plus regarder personne. 

Adrien attrape mon poignet. 

— Viens, grogne-t-il. Je vais t’apprendre à tirer. 

Il m’entraîne derrière lui et je lui suis avec soulagement, heureux de m’éloigner des jeunes gens qui continuent à glousser bêtement. Nous nous arrêtons un peu plus loin, dans une clairière plus petite. Adrien sort de sa poche un objet métallique qu’il me met dans la main. J’y jette un coup d'œil. C’est une arme ! 

— Je ne veux pas utiliser ça ! je proteste. C’est dangereux ! Je risquerais de blesser quelqu’un ! 

Adrien roule des yeux. 

— C’est un peu le but d’une arme, chéri. 

Je lui rend aussitôt le pistolet. 

— Eh bien dans ce cas là je ne veux pas apprendre à l’utiliser ! 

Mon mari fronce les sourcils. 

— Ne sois pas idiot, Max chéri. Tu dois au moins savoir te défendre. 

Un brusque soupçon me saisit. 

— Dis moi, je demande d’un ton sévère. Nous nous rendons bien dans la dixième Cité que pour détruire les serveurs du Système, n’est-ce pas ? Pas pour tuer des citoyens ? 

Mon mari hoche la tête. 

— C’est entendu. Nous ne nous en prendrons qu’aux Citoyens qui se mettront en travers de notre chemin. En faisant tout pour éviter que cela arrive, bien sûr. 

Je frissonne. Pour ma part, il est hors de question que je blesse quelqu’un, même pour défendre ma vie. Je pense soudain aux attentats dont les Anti-Civiques sont parfois les auteurs. Comme celui dans lequel Adrien avait prétendu que ses parents avaient perdu la vie. Je serais horrifié de participer à un tel crime et j’en fait part à mon mari. Ce dernier me jette un regard étrange. 

— Nous ne sommes certes pas tous innocents, Max, et il nous est arrivé de prendre des vies pour les besoins de notre cause. Mais je peux t’assurer que nous n’avons jamais organisé de tels attentats. 

Je croise les bras, sceptique. 

— Ah oui ? Et qui pourrait en être responsable sinon ? 

— Le Système, bien évidemment. 

Ma bouche s’ouvre toute seule. Je la referme presque aussitôt. 

— N’importe quoi ! je m’indigne. Le Système est là pour faire régner l’ordre et la paix ! 

Adrien ne se laisse pas démonter. 

— Ah oui ? Et qu’elle est la meilleure façon de faire régner l’ordre sans protestation que d’avoir un ennemi à combattre ? 

Je secoue vigoureusement la tête. 

— Le Système est réglé pour protéger les Citoyens et préserver ainsi l’humanité. Il ne mettrait jamais des bombes pour les tuer ! Cela n’aurait aucun sens ! Je ne peux pas croire ce que tu dis. 

Mon mari soupire. 

— Max… Je pensais qu’à présent tu parviendrais à mieux comprendre ce qu’est réellement le Système. Ouvre un peu les yeux. Sers-toi un peu de ce cerveau, si tu en es capable. 

Il donne une pichenette sur mon front et je recule, offusqué. 

— Arrêté ! Je ne suis pas… je ne suis plus un robot. Et personne de sensé ne croirait ce que tu affirmes ! Comment le Système s’y prendrait, pour commencer ? 

Adrien me regarde intensément. 

— Très facilement. En donnant des instructions précises à des Gardiens de la Paix soigneusement sélectionnés. Les Citoyens lui obéissent aveuglément, n’est-ce pas ? Même si l’ordre donné est contraire à ce qu’ils souhaitent. 

Le jeune homme ne va pas plus loin, mais je sais très bien ce qu’il sous-entend. Que moi-même j’ai agi ainsi. Que j’ai dénoncé l’homme que j’aime parce que c’est ce que le Système m’imposait. 

Je détourne les yeux, de mauvaise humeur. J’en ai assez qu’il me le reproche. Je m’en veux déjà suffisamment comme ça. 

— Qu’est-ce qui te dit que ce ne sont pas les Anti-Civiques qui te mentent à toi, hein ? Tes camarades sont loin d’être parfaits… 

Mais Adrien ne veut rien entendre. 

— Nous n’y sommes pour rien, Max. Le seul coupable ne peut être que le Système. Il n’est pas parfait non plus, tout simplement parce qu’il a été conçu par des êtres humains. Crois-le ou non, ça ne changera rien à la vérité. 

— Je ne te crois pas, je répète d’une voix faible. 

Mais je ne suis pas entièrement sûr d’être convaincu par mes propres paroles. 

Le Conjoint (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant