Le Conjoint (bxb) [terminée]

55. Chaos

Adrien m’avait expliqué que la grenade prendrait quelques secondes avant d’exploser et qu’il fallait profiter de ce laps de temps pour fuir le plus loin possible. Je me rappelle soudain ces instructions et je sors de la salle avant d’en refermer la porte à la volée. Quelqu’un m’attrape soudain rudement par le bras. Hébété, je me retourne et tombe sur Arnaud. Une coupure profonde lui barre la joue mais il ne paraît pas porter de blessures plus sérieuses. 

— Tu l'as fait ? Cours ! me hurle-t-il en m’entraînant en arrière. 

Mes jambes se mettent enfin en mouvement. Nous parcourons le couloir en sens inverse avant de nous arrêter net. Les Gardiens sont toujours là et braquent leurs armes sur nous. 

— Pas un geste ! hurle l’un d’entre eux. 

C’est à ce moment précis que la grenade choisit d’exploser. L’onde de choc me projette en avant et je tombe à plat ventre sur le sol. Mes oreilles sifflent et ma vision est trouble. Je distingue vaguement Arnaud à mes côtés. Quelqu’un pousse un cri que je perçois faiblement, comme venu de très loin. Je me suis fait mal au bras droit en tombant. Je le remue un peu. Il n’a pas l’air cassé. Le couloir est toujours saturé de fumée et je tousse, manquant d’air. 

Arnaud est le premier à reprendre ses esprits. Il saute sur ses pieds et me tire par le bras pour me mettre debout. Il a saisi le droit et je pousse un cri de douleur. 

Nous sommes des cibles faciles. Les Gardiens n’auraient même pas besoin de viser pour nous toucher. Ils ne font cependant pas mine de remuer le petit doigt contre nous. Ils sont toujours pétrifiés, complètement désemparés. Pas l’un d’entre eux n’envisage d’essayer de nous empêcher de partir. Aucun n’est capable de prendre une initiative, en l’absence d’instruction du Système. Ils fixent tous leurs bracelets désormais inutiles, épouvantés. 

Nous passons devant le cadavre de Sarah et je frissonne. La jeune fille se doutait-elle qu’elle pourrait ne jamais revenir de l’expédition dans laquelle elle avait voulu prendre part ? Dans le même temps, je songe à Adrien. Le Système ne répond plus, ce qui signifie que l’autre groupe a également réussi sa mission. Mais peut-être a-t-il également subi des pertes. Et si mon mari était blessé ? Et s’il était… 

Je secoue fermement la tête, refusant de pousser mes pensées plus loin. Adrien va bien. Il doit certainement être en train de jubiler parce que notre plan a réussi. Sans doute s’inquiète-t-il aussi pour moi. D’ici peu, nous nous retrouverons. Je l’embrasserai comme jamais et… 

Mon menton se met à trembler. Je n’arrive pas à croire à la fable que je raconte à mon propre esprit. 

Nous retrouvons nos camarades dans le hall d’entrée. L’une des filles gît sur le sol, recouverte par une veste. Il est trop tard pour elle et mon coeur se serre de tristesse. L’autre fille est blessée. Le garçon survivant la soutient. Elle perd beaucoup de sang. Ils lèvent tous les deux les yeux vers nous. 

— Que s’est-il passé ? demande le garçon. Les Gardiens ont soudain cessé de tirer… 

Il désigne non loin de là des hommes et des femmes aussi déroutés que ceux qui nous combattaient dans le couloir. 
Arnaud vient l’aider à relever notre camarade blessée. 

— Le Système de la Cité est détruit, dit-il simplement. 

Le garçon ne réagit pas plus que cela. Il est trop las pour se réjouir. Nous le sommes tous. 

Nous sortons du bâtiment dévasté et avançons dans les rues plongées dans le chaos. Les Citoyens sont sortis et échangent des paroles angoissées. Certains fixent leur bracelet avec espoir, imaginant sans doute qu’il va soudain se mettre à marcher à nouveau. Bien sûr, il ne se passe rien de tel.