33. Les Anti-Civiques

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Nous approchons de plus en plus et les lointaines silhouettes deviennent progressivement des personnes. Je suis frappé par leurs habits. Dans la Décapole, les vêtements aux tons discrets sont uniformes selon l’âge, le sexe ou la fonction. Chacun doit ressembler à ce qu’il est et être immédiatement identifiable. Les Anti-Civiques n’ont visiblement pas les mêmes préoccupations. Pas un d’entre eux ne porte la même chose qu’un autre. Les coupes me paraissent invraisemblables et le déluge de couleurs criardes me fait presque mal aux yeux. 

Un groupe de jeunes gens conversent autour d’un feu. De délicieuses odeurs de nourriture me mettent l’eau à la bouche. Depuis combien de temps n’avons pas eu un vrai repas ? 

Les Anti-Civiques finissent par nous apercevoir à leur tour. Ils s’interrompent cependant pour nous regarder approcher vers eux. Leurs visages sont braqués vers nous et l’un des jeunes hommes s’est levé pour mieux nous scruter avec méfiance. Leur réaction d’hostilité me met très mal à l’aise. Dans la Décapole, les Citoyens ont presque toujours le sourire aux lèvres et nous parlons volontiers aux inconnus, car nous savons qu’ils ne nous feront jamais aucun mal. Je ne dirais pas cela de ces gens-là car ils me semblent vraiment effrayants et je me cache du mieux que je peux derrière le dos de mon Conjoint. 

Ce dernier avance sans crainte, très détendu. 

— Salut. 

Adrien a pris la parole avec un sourire, d’un ton très calme. 

Les jeunes autour du feu ne répondent rien. Le silence règne pendant de longues secondes, simplement troublé par le crépitement du feu. Puis une voix féminine s’élève.

— Adrien ? C’est vraiment toi ? 

Une fille joufflue aux formes rondes se redresse d’un bond pour sauter dans les bras de mon Conjoint. Adrien la serre contre lui avec joie. 

— Marthe ! Tu n’as pas changé ! 

La fille rit. 

— J’espère bien que si ! Nous ne devions avoir que treize ou quatorze ans, la dernière fois. Alors, tu es de retour ? Oh, qui est avec toi ? 

La façon de parler de cette fille est étrange. Son accent est rude, plus encore que celui des habitants de la dixième Cité, et je dois me concentrer pour la comprendre. 

Je m’avance avec un sourire crispé que j’espère poli. 

— Bonjour. Je suis le Conjoint d’Adrien. 

Tous les jeunes gens autour du feu sursautent tous et me jettent un regard choqué. Je recule instinctivement d’un pas et Adrien entoure ma taille d’un geste protecteur. 

— Tu en as ramené un ? s’exclame une fille potelée. 

— Ton Conjoint ? demande un garçon d’un ton nettement ironique. 

Adrien fronce les sourcils. 

— Il s’appelle Max, OK ? Et c’est mon copain. 

Il regarde fixement les membres du groupe autour du feu, comme s’il les mettait au défi de protester. Aucun ne le fait, mais ils continuent à m’observer avec méfiance. La fille potelée finit par hausser les épaules. 

— Fais comme tu veux, mais surveille ton robot. Vous voulez manger un morceau ? 

Adrien hésite et me jette un bref coup d'œil. Je m’accroche à sa manche, peu rassuré. Ces gens n’ont pas l’air de m’aimer. Mais j’ai  faim, si faim. 

— Ouais, merci, finit par marmonner mon Conjoint en s’asseyant en tailleur au milieu du groupe.

Je m’empresse de l’imiter et m’installe si près du jeune homme que mon genoux est posé sur le sien. Quelqu’un me passe une assiette remplie d’une sorte de ragoût ainsi qu’une grande cuillère. Je suis si affamé que je me jette sur la nourriture sans plus de procès. Je me brûle la langue mais continue sans m’arrêter. Lorsque l’assiette est vide, je lèche la cuillère pour n’en laisser aucune miette. Je remarque alors que quelques Anti-Civique me regardent toujours avec désapprobation et je me rapproche encore d’Adrien. 

Le Conjoint (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant