19. L'inconnu

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Le lendemain, au travail, tout le monde ne parle que de la panne du Système. J'apprends qu’elle a touché toute la cité et non uniquement le quartier dans lequel nous nous trouvions. 

— J’ai entendu dire que ce phénomène était déjà arrivé dans la deuxième cité, déclare une Citoyenne en frissonnant. Et pendant plus de deux heures ! 

Les commentaires vont bon train et l’entrepôt se retrouve envahi par une véritable cacophonie. 

— Jamais je n’ai eu aussi peur, me confie mon collègue François en aparté. Je me suis senti complètement perdu, hier. J’étais si déboussolé que j’ai perdu mon pass d’accès pour l’entrepôt. Impossible de remettre la main dessus. J’ai dû en demander un nouveau. 

Malgré notre désarroi, nous finissons par nous mettre au travail sous l'exhortation de notre chef. Nos missions nous attendent et nous ne pouvons lambiner. Je pars dans les rayonnages aussitôt après avoir reçu la liste établie par le Système. Je remplis mon charriot avec application. Comme d’habitude, François œuvre à mes côtés. 

— C’est étrange, commente soudain mon collègue. L’épi 54 est vide. Je suis pourtant supposé y récupérer des paquets de pâtes. 

Un peu plus loin, c’est moi qui ne parvient pas à mettre la main sur des fruits en bocaux. Puis sur un carton entier de café en poudre. 

Lorsque nous allons faire notre rapport à notre chef en fin de matinée, nous apprenons que d’autres équipes se sont retrouvées confrontées au même problème. 

— Nous allons devoir revoir entièrement l’inventaire, annonce le chef. Le Système a peut-être été légèrement déréglé lorsqu’il s’est retrouvé arrêté. Ou alors l’entrepôt a été cambriolé. 

Nous échangeons tous des regards, mal à l’aise. Personne n’ose prononcer le mot à voix haute mais un vol de cette ampleur ne peut être l’œuvre que d’un groupe d’Anti-civiques. 

— D’abord cette panne et ensuite ça, marmonne François en se tordant les mains. 

Nous échangeons un regard angoissé. 

De son côté, Adrien croule également sous le travail. Il rentre tard à la maison plusieurs soirs de suite et ne se pointe que très légèrement avant le couvre-feu. Même s’il n’est encore qu’étudiant, il est mobilisé pour travailler avec les ingénieurs pour tenter de comprendre le bref dysfonctionnement du Système. Je trouve ironique qu’une personne qui déteste tant ce dernier doive ainsi être mobilisée pour le sauver. 

— Personne ne sait ce qui s’est passé, voilà tout, grommelle un jour mon Conjoint en s'allongeant sur le canapé, de mauvais poil. Et je commence à en avoir plus qu’assez de nous voir nous acharner pour rien. 

Je m’assieds à côté de lui en me faisant petit pour ne pas le déranger. Mon cœur se serre en le contemplant. Le jeune homme n’a pas bonne mine et ses cernes se sont accentuées. On a l’impression en le voyant qu’il ne dort presque pas de la nuit. 

— Si tu veux te rendre utile, fais moi un câlin plutôt que de me fixer, marmonne Adrien en gardant les yeux clos. 

— Qu’est-ce qui te dit que je te fixe ? je lui demande. Je pourrais très bien regarder ailleurs. 

Les lèvres du jeune homme s’étirant légèrement. 

— Je te connais bien, petit Conjoint. Cesse donc de t'inquiéter tout le temps pour moi. 

— J’aimerais bien pouvoir m’en empêcher, je murmure en m’allongeant doucement par-dessus lui. 

Adrien renferme ses bras autour de mon corps avec un soupir de contentement. Sa respiration s’apaise peu à peu et je le sens sombrer dans le sommeil. Immobile, je reste collé contre lui, le buste légèrement soulevé à chacune de ses inspirations. Mon nez est collé contre sa poitrine et je respire son odeur masculine. 

Le Conjoint (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant