A l'ombre des murs [Livaï x OC] | Wattys 2021 | Wattys 2022

43 ~ Le mur Rose est tombé

– Qu'est-ce que tu veux en échange ?

Jean, occupé à seller son cheval, lève les yeux au ciel et fait mine de réfléchir. Accoudée à un poteau de l'écurie, les bras croisés sur ma poitrine, je suis suspendue aux lèvres de Jean. Je n'apprécie pas du tout les chevaux, alors je tente vainement de convaincre Jean de préparer le mien. Je déteste m'occuper de ces animaux, les poils de mon cheval volent partout lorsque je le brosse et il a pris la fâcheuse habitude de se retourner pour mordre lorsque je le sangle. Je viens d'ailleurs d'éviter de peu un coup de sabot en curant ses pieds. C'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase et m'a définitivement convaincue de quémander de l'aide.

Jean attache la dernière boucle de sa sangle et se tourne vers moi avec un sourire en coin. Appuyé sur le flanc de son cheval, il me lance un clin d'œil ainsi qu'un regard charmeur. Non mais quel abruti celui-là.

– On couche ensemble, négocie-t-il.

– Je préfère encore coucher avec le cheval, rétorqué-je froidement.

Son air fier et sûr de lui s'évapore en un instant et je ne peux que rire face à sa mine déconfite. Pour ne rien arranger à la situation, son cheval a choisi cet instant précis pour décaler ses hanches. Jean perd ainsi son point d'appui et tombe lourdement sur ses fesses, en plein dans un crottin tout frais. C'est peut-être bien la première fois de ma vie que j'apprécie un de ces canassons.

– Tu me fais vraiment pitié, tête de gland. Tu devrais peut-être faire un tour dans un bordel, ça calmerait tes hormones en feu.

Dans un élan de bonté, je m'approche de lui et l'aide à se remettre sur ses pieds. Est-ce vraiment un élan de bonté, ou bien est-ce parce que j'ai besoin de lui ? Probablement un peu des deux. Je ne peux m'empêcher d'admirer l'énorme tâche de crottin sur son pantalon blanc et me mords la lèvre pour ne pas exploser de rire. Il s'époussette et fixe avec dégoût la magnifique tâche qu'il a sur les fesses.

– Allez, aide-moi s'il te plaît. Après tout, les chevaux c'est un peu tes cousins, ils ont la même tête que toi.

Sans grande surprise, cette remarque ne le fait pas rire. Bien au contraire, il me fusille du regard et me donne même un coup d'épaule en passant devant moi. Il se dirige vers la sellerie, probablement pour récupérer son filet, et je lui emboite le pas.

– Te vexe pas, c'était juste une blague.

Je pose une main sur son épaule pour qu'il se retourne et le dévisage en faisant la moue. Tête de gland reste insensible à mon regard de chien battu, il lève même les yeux au ciel d'exaspération. Bon, je n'ai peut-être pas choisi le meilleur moment pour le taquiner sur sa crinière de poney. Jean se remet en marche et pénètre dans la sellerie, cherchant des yeux son filet.

– Si tu m'aides je te filerai la moitié de mon repas de ce soir, tenté-je.

Jean reste de marbre face à ma proposition. En revanche, la tête curieuse de Sasha apparait dans l'embrasure de la porte, un grand sourire aux lèvres.

– Moi je veux bien t'aider, déclare-t-elle.

Je peux presque voir un filet de bave couler au coin de sa bouche rien qu'à l'évocation du repas de ce soir. Un sourire carnassier prend place sur mon visage. J'avais oublié que patate girl était prête à vendre son âme au diable pour une miche de pain et que, de ce fait, elle était plutôt facile à soudoyer. Jean nous dévisage, hébété, et je lui adresse un salut du majeur avant de me tourner vers Sasha et de passer un bras autour de ses épaules pour l'entrainer vers mon cheval.

– C'est très gentil à toi de m'aider, la remercié-je.

– Oh ce n'est rien voyons. Contre la moitié de ton repas, c'est bien ça ?