Chapitre 1er

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Déjà la nuit. Les lampadaires s'allument pour éclairer la rue d'une lumière blafarde. La pleine lune se réfugie derrière d'impressionnants nuages gris. Plus qu'une chanson. Je m'autorise un sprint, pour arriver devant l'immeuble avant la fin de la mélodie. C'est mon petit rituel : chaque soir, je lance ma playlist, et mes quinze musiques de rap préférées défilent dans mes oreilles. Chaque soir, je fais un petit footing dans St-Hady. Ce soir-là, j'ai couru vers le côté est de la ville. C'est le quartier où je me sens le plus en sécurité, dans cet endroit maudit. À l'inverse, je ne compte plus remettre un pied dans Bellerue. À cause de ce que j'y ai vécu avant-hier. Mon agression.

Bellerue. Quel nom ironique, quand on sait que c'est un des quartiers les plus dangereux d'Ile-de-France.

Comme tous les soirs, je crache mes poumons sur l'asphalte, avant de m'engouffrer dans le hall de mon immeuble. Je ne croise personne. Heureusement, car mon apparence actuelle n'est pas flatteuse. Dans le miroir de l'ascenseur, j'observe une adolescente, certes sportive, aux longs cheveux bruns et au regard malicieux, mais par-dessus tout dégoulinante de sueur.

La cabine s'arrête au onzième étage. Je m'échappe d'un ascenseur qui pue la pisse, et pénètre dans un couloir aux milles saveurs. Ces odeurs de cuisine proviennent du palier face au nôtre, où une mère sénégalaise cuisine toujours pour vingt. Admirablement généreuse, elle nous invite parfois à se joindre à sa famille pour le diner. Mais aujourd'hui, quand j'ouvre la porte de notre appartement, je suis également assaillie par une riche odeur de nourriture. De brocoli, précisément. Perplexe, car je sais que ma mère ne mettra jamais la patte à la cuisine, je traverse le couloir afin de jeter un œil dans le salon.

Une paire de yeux me fixe. Des yeux clairs, d'un bleu presque gris. Le genre de yeux dans lesquels tu peux te noyer. Qui te font perdre tous tes moyens. Le genre de yeux que je rêverais d'avoir, en somme. Ils appartiennent à une jeune fille que je n'avais absolument jamais vue auparavant. Ses cheveux châtains et bouclés tombent en cascade sur ses épaules, et encadrent un visage juvénile. Elle tient un cadre dans ses mains. Je me retiens de me précipiter sur elle pour le lui retirer : je déteste qu'on touche au portrait de mon père.

« Raphaëlla ! Te voilà !

Je me retourne et tombe sur ma mère, affublée d'un tablier ridicule. Elle porte un plat fumant. Un aussi surprenant qu'effrayant sourire lui déforme le visage. Je ne l'avais jamais vue aussi heureuse qu'aujourd'hui. Elle se dirige vers la table pour y déposer son gratin. La fille s'assied derrière la table, prenant déjà ses aises.

« Ma chérie, je te présente Mélanie. Et voici Christian, mon petit-ami. »

Nous y voilà. Le début du cauchemar.

***

« Et dis-moi, Raphaëlla... qu'est-ce qu'on peut faire de beau, dans le coin ?

Je manque de m'étouffer avec mes céréales. Je déteste parler le matin. Et je déteste encore plus les questions idiotes. Alors là, c'est le comble.

_Tu peux acheter du shit. Ou sinon il y a un bar à chicha au coin de la rue.

Mon nouveau beau-père écarquille ses grands yeux de merlan fris. J'esquisse un sourire insolent. Il s'attendait à quoi ? On est à St-Hady, pas à Dubaï.

_Arrête de leur faire peur, rigole nerveusement ma mère.

Elle passe la main dans les cheveux de Christian. Je réprime mon envie de vomir.

« Raph serait ravie de te faire visiter le coin, Mélanie. Je crois qu'elle va rendre visite à ses copines aujourd'hui, elle pourrait te les présenter. Pas vrai ma chérie ? »

Raphaëlla [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant