Raphaëlla [TERMINE]

Chapitre 43

« Il faut que je te dise un truc moi aussi. Tu vas comprendre beaucoup de choses. Je l'ai jamais vraiment dit à personne et ça va être très compliqué, donc évite de m'interrompre, si tu veux bien.

_Bien sûr, chuchote-il à mon oreille, les sourcils froncés.

Ses bras enroulés autour de ma taille propagent une chaleur rassurante dans tout mon corps. Cette proximité m'avait manquée. Contre lui, je me sens en sécurité. Je ferme les yeux pour me concentrer, et commence mon récit :

« Alors... C'était vers la fin de l'été, environ une ou deux semaines avant la rentrée.

Ma voix déraille. C'est encore plus difficile que je ne le pensais.

« Je faisais mon jogging comme tous les soirs. J'avais commencé au début de l'été. J'aimais bien courir, vu que j'ai passé toutes les vacances au quartier et que j'en avais marre de rester enfermée chez moi. Ça me faisait prendre de l'air, et je me remettais au sport. Et je cours toujours d'ailleurs, quand j'en ai le temps. Bref, tout ça pour dire que c'est arrivé pendant que je faisais mon jogging.

Je fais une nouvelle pause pour mieux choisir mes mots.

« À ce moment-là j'aimais bien me promener vers le quartier est. J'allais pas jusqu'à Bellerue évidemment, mais j'allais dans des endroits... où une femme de mon gabarit ne devrait pas s'aventurer seule.

« Et j'ai croisé Zachary. Avec une bande de gars que j'avais jamais croisés avant. Je sais même pas ce qu'il foutaient là à cette heure-ci. Ils rodaient et ils avaient l'air de s'ennuyer. Ça faisait depuis longtemps que j'avais pas croisé Zachary. Depuis la fin de l'année. On se parlait pas mais ce soir-là, il m'a reconnue et il est venu à ma rencontre. Enfin non, il m'a plutôt hélée depuis le bout de la rue. C'est moi qui suis allée vers eux.

J'imagine ce qu'il doit penser à cet instant, quelque chose du genre : Mais elle est conne celle-là. Pourquoi elle les calcule ? Elle devrait tracer sa route, ça lui éviterait bien des problèmes.

Moi aussi je me dirais cela aujourd'hui. Mais quand c'est arrivé, j'étais naïve. Ça faisait deux mois que je n'avais pas sociabilisé et je me sentais pousser des ailes. Et puis, je connaissais Zachary, donc dans ma tête il ne pourrait pas me faire de mal. C'était avant qu'il me dise que c'était lui qui m'avait chuchoté à l'oreille, le jour de la mort de mon père. C'est d'ailleurs ce soir-là qu'il me l'a appris, après avoir commis son crime. Comme pour me porter un coup fatal.

« Ils ont commencé à me demander ce que je faisais dans le coin, si j'étais toute seule... On a un peu discuté mais je sentais que certains gars me regardaient bizarrement. Donc j'ai voulu couper court à la discussion et m'éclipser. Mais ils m'ont encerclée. Pour pas que je fuie.

Leurs voix résonnent encore dans ma tête : Mais tu vas où ma belle ? Reste avec nous, on va s'amuser.

« Je me suis tournée vers Zachary, le seul que je connaissais, et je l'ai supplié du regard pour qu'il intervienne. Pour qu'il leur dise de me laisser tranquille. J'ai eu la stupidité de croire qu'il me viendrait en aide. Si t'avais vu comment il me regardait...

Je frissonne rien qu'en revoyant dans ma tête le mauvais rictus qu'il avait sur les lèvres.

« Ils m'ont poussée dans une rue perpendiculaire. Une petite ruelle, à l'abris des regards. J'ai même pas crié. Après... après je sais plus trop.

C'est faux. Je sais très bien ce qu'il s'est passé après. Mais je ne sais pas comment je pourrais le décrire. Il faisait sombre, je n'ai rien vu. Mais j'ai entendu des rires, j'ai senti des mains. Je ne me débattais même pas. Je fermais les yeux, en me persuadant que ce n'était qu'un mauvais rêve et que je me réveillerais dans mon lit, en sueur.