Une assiette. Un verre. Le service de mamie. Un fracas. Des hurlements. Je me bouche les oreilles et me recroqueville au milieu de mon lit. J'ai froid. Très froid. Mais je n'ai pas la force de me relever pour attraper un pull. Alors je grelotte, tout en essayant de m'endormir pour fuir cet enfer.
***
« T'as faim ma chérie ?" me chuchote une voix à l'oreille.
C'est ma mère. Qu'est-ce qu'elle fout dans ma chambre au milieu de la nuit ? Enfin, je suppose que c'est la nuit, car la pièce est plongée dans le noir. A vrai dire, les volets sont fermés. Donc on pourrait tout aussi être le jour.
Je ne réponds pas. Cette tâche primaire me demaderait un effort presque insurmontable. Ma mère soupire et pose un plat de pâtes à la carbonara sur ma table de chevet. L'odeur me dérange. C'est mon plat préféré, surtout quand il y a un oeuf posé au-dessus. Ma mère n'y manque jamais. Et elle le fait toujours délicieusement bien. Il faudrait que je déplace l'assiette. Mais il faudrait que je tende le bras pour cela. Oui. J'ai faim.
***
Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Avec qui étais-tu ? Que faisais-tu ? Pourquoi m'as-tu appelée ? Tu aurais pu me laisser un message, un indice... quelque chose. Non. Simplement trois lettres. Et maintenant, je dois me débrouiller avec ça.
***
« Elle va se réveiller quand à votre avis ? »
Pourquoi maman est-elle restée avec lui ? Il a brisé le service en porcelaine de mamie. Mais elle lui a pardonné sans réfléchir. Elle s'est même excusée.
Elle s'est excusée de vivre dans un quartier dangereux, d'être irresponsable, d'avoir une fille comme moi. Parce que j'aurais dû m'occuper de Mélanie. J'aurais dû la surveiller, être derrière elle, remarquer que quelque chose n'allait pas. Mais je n'ai rien vu. Je n'ai rien fait, même quand Mélanie ne rentrait plus à la maison et qu'elle ne répondait plus aux appels sur son portable. J'aurais dû mener l'enquête autour de moi, pour trouver des raisons à sa disparition. Je n'en ai fait qu'à ma tête.
Et voilà le résultat : à cause de moi, Mélanie est dans le coma.
Le docteur n'ose pas nous l'avouer en face, mais je sais que la question n'est pas de savoir quand est-ce qu'elle va se réveiller. La vraie question, c'est de savoir si un jour, elle va se réveiller. Car rien n'est moins certain que cela. D'après le médecin, c'est déjà un miracle qu'elle soit toujours en vie. Enfin, si on peut appeler cela être en vie.
Une sonde indique que son cœur bat toujours. C'est sûrement bon signe. Elle respire. Sa peau est à température corporelle, et ses joues sont légèrement rosées. Mais à part ces quelques détails, elle n'a pas l'air en vie :
elle ne bouge pas. Ne parle pas. Ne réagit pas. Elle ne regarde pas, vu que ses paupières sont closes. Mais elle entend certainement.
Cependant, est-ce qu'elle écoute ? Dans le doute, j'ai essayé de lui parler, un jour : j'ai attendu que ma mère et Christian me laissent seule avec elle. C'était très long, car ils ne la quittent presque jamais des yeux quand on lui rend visite. Mais un jour, ils sont partis chercher à manger chez le traiteur thaïlandais qui travaille juste en bas de l'hôpital. Ils m'ont demandée de la surveiller. Alors à ce moment là seulement, j'ai trouvé la force d'ouvrir la bouche et de faire passer de l'air à travers mes cordes vocales pour produire un son.
Je lui ai demandé si c'était ma faute. Si j'allais un jour pouvoir me le pardonner.
Juste un appel. Il me suffisait de composer juste un numéro, pour l'avoir au bout du fil avant qu'elle ne fasse sa connerie. J'aurais pu l'en dissuader. J'aurais pu lui dire de poser la poudre blanche qu'elle s'apprêtait à renifler. Elle m'aurait sûrement écoutée. J'aurais pu aller la chercher dans l'hôtel miteux dans lequel elle s'était réfugiée, pour la ramener à la maison saine et sauve.
Mais je ne l'ai pas fait. Je n'ai même pas tenté de la joindre. Pire, je lui ai exprimé mon mépris à travers l'envoi d'un emoji grossier. Elle avait besoin d'aide, et je lui ai ouvertement répondu d'aller se faire foutre. J'étais énervée, parce qu'elle n'avait pris la peine que de m'envoyer trois lettres, au lieu de m'envoyer un message digne de ce nom, avec sujet-verbe-complément. Mais peut-être qu'elle ne pouvait tout simplement pas écrire un long message. Peut-être qu'à l'instant où elle envoyait cet appel à l'aide, elle était déjà en train de partir.
Sur toutes les personnes qu'elle pouvait tenter de joindre, elle m'avait choisie moi. Elle me faisait confiance. Et je n'ai pas réfléchi une seconde à elle. J'ai agi impulsivement, sous le joug de la haine et du désir malsain de vengeance.
Évidemment, elle ne m'avait pas répondu. Ma voix avait résonné dans le vide. Je serais devenue folle, si le bip bip du cardiogramme me ramenait à la réalité. Mais de toute façon, je n'avais pas besoin de réponse. Parce que je le savais déjà au fond de mon cœur : oui, tout est de ma faute.
Je l'ai tuée.
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Raphaëlla [TERMINE]
AdventureDans la dangereuse cité de St-Hady, Raphaëlla doit faire face à son passé douloureux et aux problèmes de sa cité pour sauver sa demi-soeur. Mais pourquoi faut-il qu'elle soit tant attirée par le voyou qui leur veut du mal ? Ps : n'hésitez pas à me s...