Chapitre 6

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« J'essaie simplement de ne pas refaire les mêmes erreurs que maman. Elle t'a vu tomber, et elle n'a rien fait pour te sauver. Et maintenant tout le monde me déteste. S'ils savaient que tu n'es pas mort dans un accident de la route, mais à cause d'un règlement de compte, peut-être qu'ils comprendraient pourquoi je veux éloigner Mélanie de Zachary et de sa bande. Je veux simplement son bien, au final. Comme maman, je regrette d'avoir fermé les yeux sur tes activités et le danger que tu encourais, parce que moi aussi, même si j'étais jeune, je voyais que quelque chose de louche se passait. Mais ça ne sert à rien de ruminer le passé, pas vrai ? Tu me manques, c'est tout. »

De temps en temps, il m'arrive d'adresser une prière à mon père. Généralement, c'est pour rappeler au Ciel que je pense toujours à lui. Comme pour me débarrasser de la culpabilité que je ressens, après avoir réalisé que je commence à vivre sans constamment penser à lui. Mais aujourd'hui, ma prière est un véritable appel à l'aide.

Les paroles de Zachary m'ont rappelé un épisode de ma vie que j'essayais d'oublier coûte que coûte. En me disant qu'il ne s'est rien passé, je me persuade qu'il ne s'est vraiment rien passé. Mais Zachary tente de me rappeler l'horrible réalité de cet événement. Une montagne de sentiments s'élève en moi. Mais je les refoule à nouveau. Je refuse d'admettre qu'il peut m'atteindre.

Le pire, c'est que je ne sais même pas pourquoi il me hait tant, moi et ma famille.

***

Voilà deux semaines que j'évolue dans un nuage noir. Je me sens seule, souillée et humiliée. Je me suis d'abord cloîtrée dans ma chambre, prétextant un mal de crâne. Cette excuse a fonctionné un temps, avant que ma mère ne commence à s'inquiéter. Elle a ensuite voulu m'emmener aux urgences. J'ai donc dû me lever, et agir comme si ne rien était. Ma plus grande crainte serait de devoir tout lui expliquer.

Je ne peux pas lui raconter ce qu'il m'est arrivé. Je ne peux pas lui raconter mon agression, car elle me trainerait au commissariat. Elle me pousserait à porter plainte. Je n'ose pas imaginer les représailles. Zachary fait partie d'un réseau très dangereux, et Dieu sait jusqu'où ils pourraient aller pour nous punir d'avoir parlé. Un jour, dans un moment d'euphorie, j'ai eu le malheur de m'énerver contre Zachary. Je lui ai demandé pourquoi mon père a été calciné. Voilà où j'en suis aujourd'hui : sans réponse, et terrifiée.

Bientôt les vacances d'octobre. Je suis entièrement concentrée sur ma scolarité. J'évite de penser à mes problèmes, qui me détournent du plus important. En cours, je m'installe toujours au premier rang. J'écoute tout ce que le professeur raconte, et je prends bien soin de tout noter. Je ne parle plus à mes amis. Cela me tracasse énormément. Je ne désire qu'une chose : me réconcilier avec eux. Mais ma fierté m'empêche de faire le premier pas dans ce sens. Ils ne semblent pas regretter notre amitié comme c'est le cas pour moi, alors je préfère passer mes heures de pause avec Sofia et ses amies. Elles sont certes plus innocentes dans leurs discussions et leurs activités, mais au moins elles ne se cachent pas derrière une façade pour paraître cool.

Quand je croise Zachary ou un autre garçon qui traîne souvent avec lui, je baisse instantanément mes yeux, et trace ma route. Sans oublier de croiser les doigts pour ne pas qu'on me suive.

Je ne sais pas qui est au courant de ce qu'il s'est passé, ce soir-là à Bellerue. Il faisait sombre. Je sais que seul Zachary m'a touchée, mais plusieurs autres hommes étaient derrière lui et nous observaient, poussant des cris d'animaux à glacer le sang.

Cependant, je ne pense pas que d'autres soient au courant pour mon père. S'ils ne voient pas la gravité dans le fait de violer une fille, tuer quelqu'un de sang-froid me semble être une étape au-dessus sur l'échelle de la criminalité. À mon avis, Zachary peut leur avoir raconté cet événement pour se faire respecter, tout comme il peut l'avoir gardé pour lui, par peur de se faire dénoncer à la police. Mais je ne connais pas assez les codes d'un gang pour m'avancer là-dessus.

Après la pause déjeuner, je sors quelques minutes fumer une cigarette. À côté de moi, Sofia ne fait que m'énumérer inlassablement les dangers du tabac. Comme si je ne les connaissais pas déjà.

Soudain, la porte du lycée s'ouvre en claquant contre le mur en béton. Agitée comme une furie, Julia court vers moi pour me hurler dessus :

« Elle fout quoi ta pote wesh ?! Je te préviens, je vais lui éclater la gueule à cette grosse chienne ! ».

***

Julia me tire par le bras d'une telle force que je comprends l'urgence de la situation. On débarque en trombe dans la cantine. Aussitôt, elle se précipite sur Mélanie. Cette-dernière est encore en train de manger avec Rémy et Inès. Julia lève la seconde de sa chaise. Elle commence à l'embrouiller.

« Je suis juste plus belle que toi, c'est tout », lui répond Mélanie en rigolant. Un sourire insolent se peint sur son visage. Il m'en aurait fallu moins pour que j'aie envie de lui faire goûter le carrelage. Julia semble du même avis que moi, car elle lui assène un violent coup de poing dans la mâchoire.

Mélanie tombe face contre terre. Un brouhaha s'élève dans la salle. Tous les élèves se ruent sur les deux filles, afin d'être aux premières loges pour assister à la bagarre. Je me fraye un chemin parmi les lycéens agités, mais personne ne me laisse passer et je me retrouve obligée, comme tout le monde, d'observer sans rien faire.

Julia écrase la tête de Mélanie sous ses talons hauts, avant de lui cracher au visage :

« Tu fais moins la maligne maintenant. Salope. Ose encore faire la folle avec tes yeux du sheitan et je t'envoie jusqu'en Thaïlande. »

Mélanie parvient alors à balayer la jambe de mon amie pour que cette dernière tombe également à terre. Commence alors un jeu de bras et de jambes, où chacune tente d'immobiliser l'autre d'une part, et de se détacher de son emprise d'autre part.

Autour de moi, certains se mettent à hurler, d'autres filment la scène avec leurs téléphones portables. Personne ne loupe une miette du spectacle. Mélanie se relève difficilement. Ses yeux appellent à l'aide. Je ne cille même pas, quand elle croise mon regard. Je ne suis pas plus de son côté que de celui de mon ancienne amie. Et comme habituellement, Julia est une fille très calme, je suis sûre qu'elle a une bonne raison de s'énerver ainsi.

De l'autre côté du cercle, j'aperçois Zachary qui, comme tous les autres, se réjouit à la vue de cette embrouille. Il fait des commentaires à l'oreille de Vincent, son acolyte de toujours. Mélanie semble l'avoir aussi repéré, mais elle préfère braver la foule pour essayer de rejoindre Abel. Mon cerveau bug un instant : pourquoi va-t-elle vers le copain de Julia, au lieu de se réfugier dans les bras de celui à qui elle fait les yeux doux depuis la rentrée ?

« Tu m'avais promis que tu la quitterais ! Beugle-t-elle. Tu m'as menti ! T'es qu'un lâche !

Abel ses paumes en l'air pour exprimer sa non-culpabilité dans toute cette affaire. L'assemblée hurle de rire. Julia attrape le chignon de Mélanie et la tire en arrière, manquant de lui briser la nuque au passage.

_ Tu crois vraiment que tu fais le poids face à moi, petite pute ? Plus jamais tu nudes mon mec, c'est clair ? »

La foule aboie si fort, que je me bouche les oreilles pour ne pas que mes tympans explosent. Je bats en retraite, pile au moment où la CPE et des surveillants arrivent pour disperser la foule. Tous retournent à leur place, excités comme des puces. Pendant ce temps, Mélanie et Julia sont emmenées chez le directeur.

Raphaëlla [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant