Chapitre 41

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« Toi. Tu fous quoi chez moi ? »

Sofia tente de broder une histoire de devoirs pour justifier la présence d'un garçon dans son salon. Histoire un peu bancale, puisqu'on est actuellement en vacances. Je ne peux m'empêcher de partager sa panique : d'après ce qu'elle m'en dit, son frère semble adopter un comportement très protecteur envers elle.

Elio n'écoute les explications de Sofia que d'une oreille. Il analyse la situation, puis intime à Mensah de le suivre dans le jardin pour discuter en privé. Il passe alors devant moi, mais m'ignore royalement. Je les suis du regard, jusqu'à ce qu'ils sortent de mon champ de vision.

Cela m'effraie un peu, car je ne sais pas jusqu'où Elio peut aller pour éloigner tout garçon de sa sœur. Et s'ils commençaient à se battre ? Je ferais peut-être mieux de les surveiller...

« T'es sortie avec mon frère ?

Mes joues s'enflamment. Je ne sais pas vraiment si on peut employer ces termes.

_On était pas vraiment en couple...

_Mais vous vous êtes pécho.

_Voilà.

_J'aurais dû m'y attendre. Toutes les copines que je ramène à la maison tombent sous son charme. Sauf que d'habitude, il les calcule pas vraiment. Faut croire que tu lui as tapé dans l'œil. Mais j'ai rien vu arriver, moi.

_Moi non plus, chuchoté-je. Mais on s'est embrouillé hier soir.

_Pourquoi ?

_Un truc bête.

_C'est dommage, vous iriez plutôt bien ensemble.

Je prends quelque secondes pour réfléchir à cette affirmation. C'est vrai qu'on aurait fait un couple mignon. C'est dommage qu'il se soit comporté comme un con.

_Tu m'en veux ? reprend-t-elle, plus timidement cette fois-ci.

_De quoi ?

_Bah, qu'il y ait plus que de l'amitié entre moi et Mensah...

_Je kiffe pas particulièrement, c'est sûr. Et pareil, j'avais surtout rien vu venir, donc forcément ça m'a fait un petit pincement au cœur.

_Je te promets que je voulais pas te faire de mal en commençant à lui parler. J'étais même pas au courant, au début. Quand je l'ai appris, j'ai hésité à continuer notre histoire. Mais c'est impossible, tu comprends ? Il est vraiment gentil, et on s'entend hyper bien.

_C'est vrai qu'il est super.

_J'espère qu'Elio va le voir.

_S'ils sont pas revenus dans dix minutes, on s'inquiète. D'accord ?

_Peut être que tu devrais aller lui parler, pour qu'il lui lâche la grappe. Ça se trouve, il t'écoutera. Même si vous êtes en froid, tu pourrais faire ça pour moi ?

_Même si je le voulais, je doute qu'il m'écoute.

_Essaie, au moins. Il est pas aussi borné que tu le crois. C'est ce qui m'impressionne le plus chez lui d'ailleurs. Il prend presque toujours le temps d'écouter les gens, de les comprendre, de pas juger trop vite. Ouais il peut être un peu intelligent parfois, même si on dirait pas au premier abord. »

Sofia ne pensait pas à cela, mais ses mots résonnent en moi d'une autre façon. C'est vrai que je l'ai jugé un peu précipitamment tout à l'heure, sans même prendre le temps d'écouter ses arguments.

Bon, ça fait cinq minutes. J'y vais.

Je me rends dans le jardin et cherche les deux garçons des yeux. Je les retrouve tout au bout de la pelouse, au milieu des buissons. C'est sûr qu'ici, personne ne viendra les écouter en douce. Elio est tourné vers moi, il est donc le premier à apercevoir mon arrivée. Il n'arrête pas de parler quand je me retrouve à leur niveau :

_Garde ça pour toi, c'est clair ? Ou je t'encule. Je sais où t'habites.

_Elio...

Je tente de le calmer, mais il fronce les sourcils, visiblement agacé par ma présence.

_Laisse le tranquille. Je le connais, c'est un gars bien. Je le prends sous ma responsabilité.

Son regard s'adoucit légèrement, tandis que Mensah rigole nerveusement :

_Je peux prendre mes responsabilités tout seul hein. Je suis pas un gosse.

_Sofia l'aime vraiment bien. Et tu sais qu'elle ne trainerait pas avec n'importe qui. Fait-lui confiance. »

Elio ne parle pas pendant plus de trente secondes, ce qui ferait comprendre qu'il lâche l'affaire, du moins pour le moment. Mensah doit parvenir à la même conclusion, car il s'éclipse discrètement tout en me soufflant un « merci » du bout des lèvres. Nous nous retrouvons maintenant seuls, Elio et moi.

« T'es rentrée comment ? finit-il par lâcher, toujours en évitant mon regard. Ses yeux sont fixés quelque part au-dessus de mon crâne.

_J'ai marché.

_T'as marché de Paris à ici...

_Oui.

_Tu sais que t'aurais pu me demander de te raccompagner. Je t'aurais pas recalé. J'ai une race.

_J'avais besoin de réfléchir.

_Fais comme tu veux. Si tu veux prendre tes distances, fais-le. Mais réfléchis bien, parce que je vais pas attendre comme un connard que tu prennes la bonne décision. »

***

Sur le chemin, je repense aux dernières paroles d'Elio. Elles étaient froides, distantes, incroyablement violentes. À cet instant, j'avais l'impression d'être redevenue une parfaite étrangère à ses yeux.

Il faut que je lui laisse une chance. Que je vérifie si ce qu'il dit est vrai. Même si cela risque de me blesser, car je réaliserais alors que mon père n'était pas celui que je croyais. Qu'il n'était pas forcément un modèle à suivre, qu'il serait le méchant dans l'histoire de la vie d'autres gens du quartier, et notamment dans la vie de Zachary.

En y repensant, je me souviens maintenant de petits détails qui auraient pu me mettre la puce à l'oreille. Par exemple, Ramses a disparu de la circulation du jour au lendemain, sans même organiser un petit événement pour nous dire au revoir. Et un jour, j'ai croisé Zachary chez la psychologue. C'était peu après le décès de mon père, et ma mère me forçait encore à y aller. J'avais honte qu'il m'ait surprise là-bas, ne me demandant même pas ce que lui faisait ici. J'ai dû supposer qu'une assistance sociale l'y avait forcé, comme ils le font avec pas mal d'enfants en difficulté.

Me voilà devant l'entrée du cimetière. Je déteste cet endroit, mais pour obtenir une réponse à mes questions, je suis obligée de m'y aventurer. Je passe la grille de sécurité, et évite soigneusement de regarder le coin des catholiques, pour me diriger vers les tombes musulmanes. J'erre parmi les pierres, lisant soigneusement chaque nom inscrit. Cet endroit me donne des frissons, surtout aujourd'hui, car tout est affreusement silencieux, ce qui renforce mon sentiment de solitude et d'impuissance. Mais enfin, quand j'arrive au fond de l'allée, un nom de famille attire mon attention :

SAIDI Ramses

04/10/2004 - 02/07/2017

Il avait seulement treize ans...

Raphaëlla [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant