Chapitre 3

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Quand je pénètre dans la laverie en libre-service, rien ne laisserait présager qu'en réalité, ici se trouve l'entrée du plus gros night-club des environs. Dix machines à laver désuètes sont alignées le long du mur. Au fond de la pièce, une télévision diffuse un match de football avec un son nasillard. Le gérant du lieu grogne en guise de salutation. Je me dirige vers lui, mal à l'aise car je ne connais pas les codes pour être acceptée dans la soirée clandestine. J'attends cinq longues secondes devant le comptoir, avant qu'il ne daigne se désintéresser quelques instants de l'écran. Sous ses lourdes paupières, ses yeux me détaillent des pieds à la tête. Un grognement de dédain s'échappe de ses lèvres baveuses.

« Oui ?

_Bonjour. C'est pour aller au sous-sol. S'il-vous-plaît.

_Vous êtes l'équipe de dératisation ? Il manque de s'étouffer dans un rire gras, puis me déclare sérieusement : il n'y a rien au sous-sol. »

Humiliée, je bats en retraite. Tant pis. S'il ne veut pas m'aider, alors je rentrerais dans le Sotano par moi-même. J'analyse la pièce autour de moi, à la recherche d'un potentiel point d'entrée dans le club : une trappe, une porte secrète... ou quelque chose dans le genre. Soudain, j'aperçois un carreau au sol, particulièrement blanc. Discrètement, je me dirige vers lui, m'accroupis par-dessus et en examine les jointures.

Le carreau semble légèrement décollé. Et il est plus neuf que les autres. Je suis sûre que si je le soulève, il apparaîtra un trou par lequel je pourrai descendre pour rejoindre la soirée. À cet instant, je m'en veux terriblement de ne pas avoir prêté attention aux discussions de mes amies, lorsqu'elles racontaient dans les moindres détails leurs excursions au Sotano. Je sais néanmoins que ces soirées clandestines s'organisent uniquement grâce au bouche à oreille. Tout le monde connaît l'heure et le moyen de s'y rendre, mais personne n'en parle jamais ouvertement. La raison pour laquelle ces soirées sont si secrètes, c'est qu'elles sont le lieu de débauche par excellence : alcool, drogue et prostitution. Ce sont des types vraiment pas nets qui les organisent pour satisfaire leurs fantasmes voyeuristes, et se faire de l'argent sur le dos de mineurs en plein dévergondage. Autrement dit, le genre d'endroit qu'il ne faut pas fréquenter si tu tiens à ton corps, à ta santé et à ton argent. Mais aujourd'hui, je me jette dans la gueule du loup. Pour en sauver une gamine qui n'en réalise pas le danger. Elle me sera redevable. Je m'étais pourtant promise de ne plus jamais remettre les pieds à Bellerue.

Je pose mes doigts sur le carreau afin de le décoller.

« C'est quoi ce bordel ?

Je sursaute. À force de ruminer, je n'avais pas entendu cette personne se faufiler derrière-moi. Je me lève et essuie mes mains sur mon jean, telle une enfant surprise à faire une bêtise, et qui en a maintenant honte.

Je ne tombe pas sur le vieux monsieur de tout à l'heure, mais sur un jeune homme à peine plus âgé que moi. D'abord sévère et irrité, son regard ardent s'adoucit quand il aperçoit mon visage.

_Tu faisais quoi, là ?

Je n'ose pas lui répondre, intimidée par sa carrure. Il a une prestance qui font perdre tous leurs moyens aux filles comme moi. Derrière une peau légèrement mat et des boucles aux reflets dorés, je vois un garçon naturellement assuré et charismatique. Devant mon mutisme, un coin de sa bouche se soulève légèrement, laissant entrevoir une fossette. Il doit être craquant lorsqu'il sourit à pleines dents. Mais actuellement, malgré mon envoûtement, je ne peux que le détester pour me mettre dans une position aussi délicate.

_Je dois aller chercher ma belle-sœur. Elle est à la soirée.

Il explose d'un rire franc, presque communicatif. J'aurais également souri, si je n'étais pas figée par la timidité.

_Et tu crois que c'est en défonçant mon carrelage que tu vas la trouver ? »

Il doit enfin remarquer mon désarroi, car il soupire et remet le carreau en place, tout en secouant la tête. On dirait un parent exaspéré par la débilité de son enfant. Je louche un quart de seconde sur son tee-shirt blanc, qui laisse transparaître le mouvement des muscles de son dos. Je me reprends vite, avant que le rouge ne me monte aux joues.

Je n'ai pas le temps de dire quoi que ce soit avant qu'il ne se retourne, et me fasse signe de le suivre. Je marche à sa hauteur et observe son expression. Pour savoir s'il est fâché ou juste nonchalant. Mais il baisse la tête, obscurcissant son visage.

On sort de la laverie. Il nous dirige vers l'arrière du bâtiment. Je ralentis d'abord le pas, réticente à le suivre. Mais je surmonte ensuite ma peur, et le suis dans la ruelle sombre. Ce genre d'endroit me fait flipper, mais je ne veux rien laisser paraître. Heureusement, il ne s'aventure pas trop loin. Il s'arrête juste devant ce qui semble être, au sol, l'entrée d'une cave. Je le vois s'accroupir pour ouvrir un cadenas qui en verrouillait l'entrée. Ses doigts trouvent avec aisance les bons numéros à mettre.

« T'es jamais venue ici, je suppose, dis-t-il en soulevant avec force le premier battant de porte. Il se redresse et s'approche de moi. Plus que quelques centimètres nous séparent : mon nez frôle presque son torse. Je lève les yeux vers lui. Il me regarde intensément, abordant une expression indéchiffrable.

« Un conseil : va chercher ta copine et barrez-vous vite d'ici. »

Raphaëlla [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant