Chapitre 2

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C'est enfin la rentrée. Je ne pensais pas dire cette phrase un jour, mais je suis contente de retourner au lycée. Je n'aurai plus à me coltiner Mélanie et son père. Ils ont emménagé chez nous il y a maintenant une semaine. Entre temps, ils ont pu faire cinq fois le tour de la ville et ma mère m'a toujours poussée à les accompagner. Elle veut que je me fasse apprécier d'eux.

C'est le monde à l'envers : deux inconnus ont débarqué chez moi, disent faire partie de ma famille, et c'est à moi de faire mes preuves. Comme si on pouvait remplacer mon père. Christian ne remplacera jamais mon père. Il ne fait que lire des livres et débiter des propos pseudo-philosophiques, tandis que mon père était un bosseur assidu qui aidait aussi ma mère dans les tâches domestiques. Il me manque. Je ne le ressusciterai pas en m'apitoyant sur mon sort, donc je fais bonne figure auprès de nos invités. Si cet effort peut rendre ma mère heureuse...

Après avoir trouvé mon nom dans la liste des classes, et constaté qu'aucun de mes amis n'était avec moi cette année, je me dirige d'un pas traînant vers ma prochaine salle de cours. Des élèves attendent devant la porte. Je ne tiens pas à m'asseoir par terre, alors qu'une chaise m'attend à l'intérieur de la salle. Je m'engouffre donc dans la pièce sans attendre la sonnerie. Mon professeur de littérature préféré y est déjà. Il est pris dans une conversation épique avec...

Pourquoi toujours lui ?

« Non Zachary. On en a déjà discuté par mail : vous ne pouvez pas aller en ES. Vos notes en mathématiques sont trop basses pour cela.

_Mais monsieur ! Ça casse les couilles la L ! Je veux gagner des thunes plus tard, pas finir bibliothécaire. J'ai jamais lu un livre de ma vie zehma.

_C'est comme ça, Zachary. Et il y a toujours des possibilités d'avenir, même avec un bac L. Croyez-le ou non. Pour ce qui est des livres, il n'est pas trop tard pour s'y mettre. Mlle Wolan peut même vous recommander des ouvrages."

Il parle de moi, là. Je retire machinalement un écouteur de mon oreille et hoche la tête.

_Bonjour monsieur Pougeois. J'espère que vous avez passé de bonnes vacances. »

M. Pougeois commence à nous raconter une histoire de randonnée en Lituanie quand la cloche retentit. Les élèves entrent en petit groupe dans un brouhaha ambiant. Je mine d'être passionnée par mon fond d'écran de téléphone. En réalité, je ne fais qu'attendre de voir qui s'assiéra sur la chaine voisine. C'est finalement Zachary qui s'y installe, après avoir check tous ses potes. Ces-derniers se dirigent naturellement vers les places qui leurs sont attitrées, c'est-à-dire au dernier rang.

Je l'ignore et note minutieusement le titre du prochain chapitre : « La recherche de soi ». Néanmoins, je sens un regard peser sur mon visage. Au bout de quelques minutes, c'est le corps entier de mon voisin qui se penche dans ma direction. Je sens son parfum boisé, qui doit en faire tomber plus d'une. Moi, il me fait plutôt vriller. Dans le mauvais sens du terme.

« Ça dit quoi beauté ?

_Ça dit rien. J'essaie de me concentrer.

Il rit jaune. Je ne cherchais pas à être drôle. Au contraire, j'étais très sérieuse. J'ai tenté de lui faire passer un message. Mais il ne démord pas :

_Elle est bonne ta sœur. Comment elle s'appelle déjà ?

_Belle-sœur. À la limite. On a zéro sang en commun. Et elle s'appelle Mélanie.

_Mélanie... elle est méga bonne. »

Il me glace le sang. Parce que je sais qu'il est prêt à tout pour obtenir ce qu'il désire. Si je portais Mélanie dans mon cœur, je lui aurais dit de ne pas l'approcher. Je l'aurais menacé. J'en ai les moyens. Mais je me fiche de Mélanie. Sa vie n'est pas mon problème. Je ne tiens pas à me mettre Zachary et sa bande à dos. Le mieux, avec eux, c'est de faire profil bas. Et si quelque chose tourne mal, dire qu'on ne s'en souvient plus très bien, et que ce sont des choses qui arrivent.

***

Le reste de la matinée se déroule sans accrocs. Aux cours suivants, j'arrive légèrement en retard. Ainsi, je peux choisir à côté de qui je m'installe. C'est-à-dire à côté de personne. Je retrouve enfin mes amis à la cafétéria pour le déjeuner. Quand j'arrive, Inès, Julia et Rémy sont déjà assis atour d'une table de quatre. Il gesticulent joyeusement. Chacun raconte sa première matinée de classe. Je ne pensais pas qu'on pouvait récolter autant de choses à raconter en trois heures. Je les salue, et j'attaque mon friand au fromage en silence. Je songe encore à Mélanie et Zachary.

« Eh Raph ! T'es avec nous ?

_Humm. Oui. Je suis d'accord, Vincent est définitivement refoulé pour se comporter comme ça envers toi.

_Pourquoi tu dis ça ? S'indigne Rémy. J'arrête pas de vous dire que je-ne-suis-pas-gay.

J'échange un coup d'œil amusé avec les filles. Nous savons toutes que Rémy est gay. Mais lui-même ne l'assume pas complètement. Ou peut-être simplement qu'il se protège. C'est dangereux, ici, de dire ouvertement qu'on est homosexuel. Rémy a déjà subi des violences auparavant, que ce soit au lycée ou dans la rue, alors je comprends qu'il fasse profil bas. C'est ainsi que les choses fonctionnent, à St-Hady : soit on fait profil bas, soit on joue le jeu. C'est la seconde option qu'ont choisie mes deux autres amies :

_Il paraît qu'il y a une soirée clandestine ce soir au Sotano ! S'exclame Inès. Il faut vraiment qu'on y aille, on pourra pécho des mecs pour qu'ils nous offrent des verres.

Julia s'extasie à cette idée, même si elle a déjà un copain, dont elle dit être amoureuse. Rémy et moi déclinons l'offre. La perspective d'une telle soirée me séduit autant qu'un voyage de six semaines avec ma nouvelle famille. Puis, je n'ai pas la même aisance avec les garçons qu'Inès.

_D'ailleurs Raph, tu nous avais pas dit que ta mère avait ramené un mec chez vous ?

_Si. Un vieux pédant et sa bolosse de fille. »

***

La journée s'est terminée tôt. J'ai pu faire une sieste dans l'appartement, puis partir courir avant que les autres ne rentrent. Quand j'ouvre la porte d'entrée, vers vingt heures, je tombe sur ma mère, rongée par l'inquiétude. En me voyant, elle soupire de soulagement. Avant de me demander où j'étais passée.

« Je faisais mon footing, maman. Comme tous les jours, soupire-je.

_Et Mélanie ? Elle était pas avec toi ?

Pourquoi serait-elle avec moi ?

Ma mère comprend ce que signifie mon silence. Elle s'exclame :

_Raph ! Je t'avais dit de rester avec elle pour son premier jour de lycée !

_Mais maman ! Je vais pas traîner avec une seconde ! C'est la honte ! Elle n'a qu'à se faire des amis toute seule.

_Et où est-elle maintenant ? Elle devrait être rentrée à l'heure qu'il est... »

Bonne question. J'hausse les épaules, disant que ce n'est pas mon problème et qu'elle est assez grande pour se gérer toute seule, puis je me réfugie dans ma chambre, énervée qu'on me crie ainsi dessus.

Une heure plus tard, Mélanie n'est toujours pas rentrée. Derrière le mur, j'entends les adultes s'inquiéter. Ils envisagent d'appeler la police. Je soupire, enfonce mes écouteurs dans mes oreilles, et me réfugie sur les réseaux sociaux. Distraitement, je regarde les stories des gens du lycée. Mais une vidéo en particulier retient mon attention.

C'est la story de Rémy. Il a finalement accompagné les autres au Sotano. Pour pouvoir poster quelque chose sur son Instagram. Hormis le fait que j'aie été trahie, un détail me gêne sur cette vidéo : derrière son visage souriant, je distingue Mélanie. Elle s'enfile des shots.

« C'est bon, je sais où elle est ! m'écrie-je. Vous inquiétez pas, je vais la chercher. »

Encore une fois, ce n'est pas mon rôle de m'occuper d'elle. Mieux vaut pour elle que les adultes ne la sachent pas là-bas.

Raphaëlla [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant