Chapitre 44

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« Vous allez demander quoi sur Parcoursup, les gars ?

Je repose mon Big Mac de Noël, soucieuse. C'est déjà le moment de faire ses vœux d'orientation ? Je ne sais pas encore ce que je mangerai ce soir, et ils me demandent ce que je veux faire l'année prochaine.

_Une prépa, je pense, annonce Julia.

_T'es déter' ! Et toi Rémy ?

_Je sais pas encore, sûrement une licence de comptabilité. Pour gagner un max de thunes plus tard.

_Pas mal, pas mal. Moi aussi, je pense que je vais demander une prépa, annonce Inès en sirotant son Sprite de Noël.

Les regards sont maintenant tournés vers moi. Je ne sais pas quoi leur répondre. Je n'ai pas vraiment la motivation pour faire une classe préparatoire, et je n'aime pas les maths. Mes choix sont restreints.

_Je ne sais pas encore, j'ai pas trop la tête à ça en ce moment, avoué-je. Mais rassurez-moi, on a encore le temps pour se décider, hein ?

_Évidemment ! s'exclame Inès. La plateforme n'ouvre qu'en janvier. J'étais juste curieuse, mais te prends pas la tête avec ça pour l'instant. »

Le poids s'envole de ma poitrine aussi vite qu'il y est atterri. Ça va, j'ai encore le temps. Un mois. Ou plutôt, dix jours. Pas tant de temps que cela, finalement.

Je m'empare à nouveau de mon sandwich pour y croquer à pleines dents. Cela faisait depuis longtemps que je n'avais pas mangé un Mc Donald. C'est notre petit rituel, à tous les quatre : le Mc Do' de Noël. Ça a commencé il y a trois ans, quand Rémy nous a avoué n'avoir jamais fait de fête de famille. C'est-à-dire qu'il n'a jamais assisté à ces repas qui durent des heures, qui ennuient tout le monde mais qu'on remet chaque année.

On a trouvé cela vraiment dommage avec les filles. Nous pensons qu'il a le droit, comme tout le monde, de connaître ce sentiment de devoir familial auquel on ne peut pas échapper. Alors, on a décidé de fêter Noël entre nous, et de créer notre propre tradition un peu contraignante mais tout de même attendrissante.

Au début, on voulait adopter le concept du Noël canadien, où chacun pioche le nom d'une personne à laquelle il devra offrir un cadeau. Mais par manque de ressources financières, on a abandonné l'idée. À la place, on se donne rendez-vous au McDonald de Janvrigny, et on commande assez pour rester là-bas de dix à seize heures. Interdiction de sortir son téléphone, de faire la tête ou de sortir de table – sauf pour aller aux toilettes -. On est obligés de se parler, et d'au moins faire semblant de passer un bon moment.

C'est bizarre, comme concept. Mais ça nous amuse plus que ça ne le devrait. On aime bien les activités un peu connes. Et puis, nos liens d'amitié n'en sont qu'un peu plus resserrés. On est obligés de se parler sans pause pendant six heures, donc à la fin on en ressort avec toujours plus d'informations sur la vie de chacun.

« Et les amours ? Ça avance ?

Je me tourne vers Rémy, tout sourire. Cela fait depuis longtemps que je ne l'ai pas vu, je ne suis donc pas à jour des dernières nouvelles sur sa « relation » avec Vincent.

À voir sa tête, je crois que j'ai gaffé. Mes lèvres se pincent. Du regard, je lance un appel à l'aide aux deux filles assises en face de moi.

_Vincent l'a largué. Il y a un peu plus de deux semaines, explique Julia.

_Ah merde... Excuse-moi Rémy, je savais pas.

_T'inquiète, je m'en fous. Et puis il m'a pas largué, on était même pas ensemble. Son excuse c'était : « Je veux pas que les gens croient que je suis gay. » Ce qui est complètement con, vu qu'il est gay.

_Je le comprends, il a besoin d'un temps d'acceptation. Comme toi avant, dis-je en lui faisant un clin d'œil. Il est tout simplement pas prêt.

_Oui, bah j'ai pas le temps pour ça, moi. Il m'appellera quand il aura porté ses couilles. Et puis je reviendrai pas, parce que je suis pas son chien.

Il a débité ces paroles à une telle vitesse, que je ne peux pas m'empêcher d'exploser de rire. Il a raison. Mais Vincent me fait tout de même un peu de peine. Il se cherche encore, ce qui est normal à notre âge. Je ne le porte pas spécialement dans mon cœur, mais j'espère qu'il réussira un jour à faire ce qui le rend heureux, sans se soucier de l'avis des autres.

_Yas, t'as grave raison. »

En tant qu'amies, notre rôle est de le soutenir dans ses décisions, si ces dernières lui semblent être les meilleures. Mais je perçois plutôt de la peine dans le regard de Rémy.

***

C'est épuisée que je rentre au Sotano. Je compte bien boire de la soupe pendant une semaine, jusqu'à avoir évacué les dernières molécules de gras de mon corps. Je n'imagine même pas les boutons qui apparaitront sur mon front dans quelques jours. Quand je pénètre dans le salon, je m'attends à y trouver seulement Elio, comme d'habitude. Je ne m'attendais pas à tomber sur une vingtaine de mecs, qui s'agitent dans tous les sens.

Je me fraye un chemin parmi les sweats à capuche et les canettes de bière. Je cherche désespérément mon repère dans cet océan humain.

« Raph ! Ça dit quoi ?

Mes yeux balaient la salle pour découvrir qui m'a parlé. C'est Moctar. Pas le repère que j'espérais, mais ça fera l'affaire. Le garçon d'au moins un mètre quatre-vingt-dix de taille, et de cent kilos de muscles, vient à ma rencontre, tout sourire.

_Ça va et toi, soufflé-je. Je savais pas qu'il y avait une fête ce soir.

Il rigole d'une voix tellement grave que les murs en tremblent.

_On fait pas la fête là. Elio nous a appelés pour qu'on se coordonne avant la descente de samedi.

_La quoi ?

_La descente, la baston, la castagne. Apelle ça comme tu veux. On va les pulvériser.

Je reste bouche-bée. C'est ça, la réunion dont il me parlait ? On dirait plutôt un before de soirée, mais pourquoi pas. Je pensais que les tons seraient plus graves, à l'aube d'un tel événement. Il n'y a que moi qui suis dotée de la capacité... de percevoir le danger, dans ce quartier ? On dirait qu'ils attendent de perdre un proche pour arrêter de prendre les choses à la légère.

_Ah, d'accord. Et du coup, vous allez vous coordonner comment ?

_On va être un peu plus de cinquante. Ça sera samedi tard la nuit, ils vont pas nous voir arriver. Ça va être trop bresom.

_C'est tout ?

_De quoi ?

_Votre plan, il s'arrête là ?

_Je peux pas tout te dévoiler ma belle. C'est pas de ton âge.

_J'ai dix-sept ans mec.

_C'est un s'cred. On raconte pas ce genre de détails aux meufs, question de principes. Déso'. »

Il sait où il peut se les foutre, ses principes ?

Je m'éloigne, frustrée qu'on ne veuille pas me donner plus d'informations sur le déroulement des événements.

J'aperçois enfin Elio, qui semble absorbé dans une discussion, avec une fille que je ne connais pas. Mon cœur s'affole. Je me faufile hors de son champ de vision, pour écouter discrètement ce qu'ils peuvent bien se dire de si secret pour qu'il ne prenne même pas la peine de me mettre au courant.

Raphaëlla [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant