Chapitre 30

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Elio avait vraiment besoin de parler, parce qu'il ne semble plus s'arrêter. J'essaie de me concentrer sur ses paroles malgré ma tête qui tournoie.

Apparemment, l'accident de Mélanie est passé aux informations sur une chaîne télévisée régionale. J'imagine les gros titres intrusifs qu'ils pu trouver pour attendrir la foule. Le problème, c'est que ça a foutu un coup de projecteur sur Bellerue et le trafic de drogues qui s'y trouve. La police y a fait une descente la semaine dernière, et maintenant ils surveillent les jeunes du quartier dans tout ce qu'ils entreprennent.

« Ils écoutent même nos appels. C'est chaud.

_ Mais je comprends pas. C'est Mélanie qui a décidé de se droguer, c'est pas de votre faute. Genre vous l'avez pas forcée.

_ Ouais, mais si on avait pas eu de drogue à lui fournir elle en aurait pas consommé. T'façon ils ont rien trouvé. Ils ont pas de preuve que c'est nous qui lui avons vendu la came donc ils peuvent pas nous accuser. Mais on doit stopper les affaires pendant un moment et c'est la merde pour certains. Pas pour moi Dieu merci mais Zachary par exemple il vit très mal ce qu'il se passe. Carrément il est tout chelou depuis deux semaines. Il écoute pas quand on lui parle et il s'énerve pour rien, ça fout la merde à l'intérieur même du réseau et ça fout encore plus le bordel.

_ Chaud.

_ Je crois que c'est parce que c'est lui qui lui a vendu la dose à la gosse ce soir-là. Il doit flipper qu'on le découvre et qu'on l'accuse d'homicide involontaire si elle se réveille pas.

Je pense à Mélanie. C'est bizarre, mais je n'arrive pas à me faire à l'idée qu'elle n'est plus de ce monde. Par exemple, si jamais l'envie me prenais de l'appeler sur son téléphone, sa sonnerie retentirait dans le vide. À l'infini. Je devrais peut-être supprimer son numéro. Mais qui sait ? Peut-être qu'un jour elle se réveillera, et la première chose à laquelle elle pensera sera de m'appeler. Et alors je pourrai répondre rapidement. Ma gorge se serre. Si je n'étais pas entièrement déshydratée, une ou deux larmes auraient déjà coulé.

_ Tu penses à quoi ? chuchote le garçon à côté de moi en écrasant son mégot sur la marche sur laquelle sont posés nos pieds.

_ À rien. Je suis bien, avoué-je. T'as pas une clope à me passer ?

_ Tu veux encore rester dehors là ? T'as pas froid ?

_ Non, assuré-je en grelottant.

Je n'ai pas envie de remonter me coucher. J'ai envie de rester sur ces marches, dans le silence de la nuit à méditer en admirant les étoiles. À l'abri du temps. J'entends Elio s'agiter à côté de moi.

_ Tiens.

Je tourne la tête et l'aperçoit dans l'obscurité, me tendant une cigarette et sa doudoune. Il est maintenant simplement vêtu d'un sweat-shirt dont il a rabattu la capuche sur ses cheveux bouclés. J'ai carrément froid, alors je ne fais pas la guerrière à refuser son vêtement et l'enfile en grelottant. Une fois au chaud, je commence à m'assoupir mais je me reprends et allume ma cigarette, la tête reposée sur la rambarde en fer.

Nous restons ainsi le temps que je termine de fumer, les yeux rivés sur le ciel. J'explique à Elio pourquoi je suis réfugiée chez lui, et il compatit à mon malheur. Même s'il ne s'était jamais vraiment intéressé à Mélanie, il la voyait très souvent. Ca lui a donc fait un certain choc d'apprendre qu'elle est maintenant dans le coma.

_ Pourquoi est-ce que tu fais ça ? soupiré-je.

_ De quoi ?

_ Je sais pas, prostituer des mineures peut-être.

Il me lance un regard noir qui m'ordonne de parler moins fort, puis il prend plusieurs secondes avant de trouver ses mots :

_ De toute façon là on stoppe tout définitivement. Et à la base c'est même pas moi qui ai eu l'idée. J'étais carrément contre. Mais ça rapporte beaucoup donc Zachary lâchait pas le morceau. J'avais pas le choix, alors j'ai accepté qu'on le fasse pour garder le contrôle sur le bail. Comme ça je peux au moins m'assurer que toutes les gamines sont consentantes.

_ Parce que sinon Zachary allait prendre le contrôle à ta place ?

_ En gros, ouais. Je l'aime bien , c'est mon petit et on traine ensemble depuis longtemps, mais je sais qu'il y a une part de lui hyper ambitieuse qui veut juste me foutre sur le côté pour reprendre le réseau. Alors je surveille mes arrières.

_ Comme la fois où t'avais confisqué une arme à un de tes gars.

_ T'as une bonne mémoire, ricane-t-il. Ouais c'est vrai. C'était chaud ce jour-là, on s'est battu carrément. Mais comme je suis trop fort j'ai gagné et je lui ai confisqué son glock pour pas qu'il fasse de dinguerie.

_ C'est bizarre. Vraiment. Genre vous savez être drôles et gentils quand on vous parle comme ça, mais dès que ça touche aux affaires de la cité vous devenez hyper sérieux.

_ On fait pas ça pour le plaisir tu sais. »

***

Je repense à cette nuit sur le chemin de l'hôpital. Après avoir bien discuté, Elio m'a presque forcée à retourner me coucher pour reprendre des forces. Il ne faudrait pas que je sois fatiguée aujourd'hui, alors que je vais rendre visite à Mélanie. Je l'ai remercié de m'avoir accordé du temps. Il m'a alors regardée bizarrement mais ça me semblait naturel. Il n'était pas obligé de supporter ma présence et mes questions. Et puis, j'ai passé un bon moment. Tout simplement.

J'arrive enfin devant le bâtiment. Les portes coulissent et je pénètre dans une salle de réception aux murs aseptisés. Je me dirige vers le comptoir, derrière lequel est installée une jeune fille à peine plus âgée que moi. Je lui donne mon nom et elle semble me reconnaître. Elle fait tout de même toute la procédure administrative nécessaire pour me faire entrer, qui consiste à taper je-ne-sais-quoi sur son ordinateur, puis à me faire signer un carnet enregistrant chaque visite. Je saisi le stylo et inscrit mon nom, ainsi que la date, l'heure et la chambre dans laquelle je me rends. On me laisse ensuite monter tranquillement les escaliers jusqu'au premier étage. Par habitude, je trouve la bonne chambre du premier coup. Je pousse doucement la porte, ne m'attendant pas du tout à rencontrer un autre visiteur de si bon matin.

Zachary est penché sur Mélanie. Je pensais d'abord qu'il lui faisait un câlin ou quelque chose du genre, mais en observant de plus près sa position, je réalise qu'il est en fait en train de s'intéresser à la machine qui la maintient en vie.

« Tu fais quoi là ? m'étouffé-je.

Il se redresse précipitamment, comme un gamin pris en flagrant délit. Je peux voir sur son visage qu'il a pleuré, mais il semble vouloir ne rien laisser paraître car il affiche sa mine renfrognée habituelle.

_ Je viens voir ma meuf, ça se voit non ? crache-t-il en s'asseyant sur une chaise.

Je le rejoins sur la deuxième chaise mise à disposition en silence, pas trop décidée à crier alors qu'on est tous les deux venus rendre visite à une jeune fille qui sommeille entre la vie et la mort. Maintenant que je suis physiquement plus proche de lui, je sens des effluves d'alcool émanant de ses habits. Je suis encore plus répugnée par cet être méprisable.

_ C'est la première fois que tu viens ? Je t'ai jamais vu là avant. J'étais surprise, c'est tout.

_ Ouais... je crois que ça me faisait peur de la voir dans cet état.

_ Je comprends, avoué-je.

_ À propos... j'aimerais que tu dises rien à la police sur nos affaires.

_ Parce qu'ils font faire une enquête ?

_ Si elle meurt ouais.

_ Arrête de penser à ça s'il-te-plaît. Tu vas porter l'œil.

_ Je fais beleck c'est tout. Ça nous foutrait bien profond dans la merde alors que c'est elle qui a déconné.

Sa voix se brise sur ce dernier mot.

_ Je ne dirai rien sur votre trafic t'inquiète. Je veux que tu te sentes coupable d'avoir accepté de lui vendre de la drogue, mais la connaissant, je sais qu'elle était sûre de vouloir en prendre. Alors elle en aurait trouvé de toute façon.

_ C'est pas ça le problème putain, s'étrangle-t-il. Le problème c'est que je l'ai putain d'abandonnée quand j'ai vu qu'elle commençait à partir. »

Raphaëlla [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant