Chapitre 29

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Ils ont recommencé. Mais il n'y a certainement plus de vaisselle dans les placards. Tout a déjà été jeté à travers l'appartement. Alors qu'est-ce qu'ils peuvent bien être en train de casser ? Ça fait un boucan pas possible.

« Tu répondais pas à mes messages, alors j'ai pris les devants et je suis montée t'apporter les cours pour que tu puisses tout rattraper.

Si mon cerveau était plus vif, j'aurais sursauté, car je ne l'ai même pas entendu Sofia entrer dans ma chambre.

_ Je compte pas les faire, mais merci.

_ C'est un peu maladroit de te demander comment ça va, pas vrai ?

_ C'est pas la joie à la maison, comme tu peux le constater.

_ Et toi ?

_ De quoi ?

_ Toi, ça va ?

_ Je sais pas.

Elle ne répond rien. Soit elle ne trouve pas les mots, soit elle sait qu'aucun mot ne pourra me sortir de mon mal-être.

_ On est tous au courant pour Mélanie. C'est affreux, je suis désolée.

Cette fois-ci, c'est moi qui ne réponds pas. Sinon je risquerais de dire une bêtise. L'envie me démange de lui hurler que tout est de ma faute, que si j'avais répondu à son putain de message, peut-être qu'elle ne se serait pas suicidée.

Ma gorge se serre. Des larmes de culpabilité me montent aux yeux. Avec la manche de mon pull déjà mouillée, j'essuie le filet de morve qui coule tout seul de mon nez.

_ Ça va aller, je suis là », chuchote mon amie en me caressant le dos.

Mon regard se perd dans le vide. Je sens des doigts froids me caresser la joue et en essuyer les traces de larmes.

***

« Tu peux pas rester ici. C'est malsain. Tu vas emménager chez moi jusqu'à ce que les choses se calment entre ta mère et le père de Mélanie. »

Je l'observe dessiner sur son cahier. Elle a le réflexe de gribouiller un carreau sur deux quand elle réfléchit. Elle a rempli toute une page d'encre avant de me lâcher cette phrase.

Honnêtement, ce n'est pas une mauvaise idée. Cela fait deux semaines que je reste enfermée chez moi. Deux semaines que je ne sors pas de mon lit, et que j'entends des cris de l'autre côté de la porte. J'en entends même la nuit, quand tout le monde dort.

Alors je finis par céder à sa proposition, même si ça me met mal à l'aise de m'incruster dans une famille heureuse qui n'a sûrement pas envie de se farcir une adolescente déprimée qui ne fait plus rien de ses journées. Sofia me lève et je commence doucement à réunir mes affaires. Je prends plein de vêtements - les plus confortables - et des petites babioles comme des livres ou des cadres qui me rappellent chez moi. Mon amie s'occupe de prendre mes affaires de cours et mes produits de beauté, puis nous quittons l'appartement sans plus tarder.

Nous marchons une vingtaine de minutes dans le froid hivernal. Il a dû neiger, car je manque plusieurs fois de déraper sur des plaques de verglas. Nous arrivons enfin devant sa maison. Au début de l'année, son jardin était un océan de verdure, puis il s'est petit à petit laissé teinter d'ocre. Aujourd'hui les arbres sont entièrement défeuillés.

« Tu vas t'installer dans la chambre d'amis. Me prévient-elle en déverrouillant la porte d'entrée.

Je la suis donc dans les escaliers. On est en fin d'après-midi. Le reste de la famille n'est pas encore rentré du travail. Sofia ouvre la porte qui donne sur la pièce que j'avais antérieurement nommée « le deuxième salon ».

La chambre est très différente en journée. La fenêtre offre une vue directe sur le quartier chic de Janvrigny, même si on aperçoit au loin les hautes tours de Bellerue. Un lit deux places remplace les canapés de la dernière fois, qui sont maintenant alignés contre le mur. La pièce est vraiment grande, quoique bien agencée. Il y a également une bibliothèque et un bureau. Confort cinq étoiles.

_ Il n'y a qu'une seule salle de bain à l'étage, on devra donc se la partager tous les trois avec mon frère. Mais t'inquiète, moi je me douche rapidement et lui il est quasiment jamais là.

Je n'ai pas pris de douche depuis au moins une semaine. J'espère qu'elle ne l'a pas senti. Je l'écoute distraitement m'expliquer comment fonctionnent le radiateur et la télévision, puis elle me laisse enfin seule pour que je puisse m'installer à ma vitesse.

Je m'allonge sur le lit king size, et ne bouge plus. Je déferai mon sac tout à l'heure.

Je m'assoupi sans le vouloir.

Une ou six heures plus tard, je suis réveillée par la voix de Sofia qui me crie depuis le rez-de-chaussée de descendre dîner. J'hésite longuement à ignorer ses appels, puis je me dis que ce serait vraiment impoli. Donc je me décide finalement à me mettre un coup de pied au cul pour me décoller du lit et descendre la rejoindre dans la salle à manger.

« Prends du vin, ça va te redonner des couleurs, m'intime Según en me tendant une bouteille déjà bien entamée.

En temps normal j'aurais refusé sa proposition, mais j'ai grand besoin d'un petit réconfortant, donc j'accepte et empli mon verre de liquide pourpre.

Tout le monde parle à voix basse. Je ne sais pas pourquoi. Sûrement pour ne pas brusquer mon cerveau lent. De toute façon, je ne prête même pas attention à ce qui se passe autour de moi. Je vis comme dans un brouillard permanent. Je réussi à avaler quelques bouchées d'épinards, puis je m'éclipse en m'excusant. Je remonte à l'étage et me réfugie dans ma nouvelle chambre. Je suis encore entièrement habillée, mais je me glisse quand même entre les draps froids. Je n'ai rien fait de fatiguant aujourd'hui, mais je m'endors comme une souche en moins de deux minutes.

***

Mon téléphone indique trois heures du matin. Je ne sais pas combien de temps j'ai dormi, mais mes batteries sont maintenant entièrement rechargées. Je pète la forme.

Je prends vingt minutes à me lever, puis me dirige à pas feutrés vers la fenêtre. Malgré la température avoisinant le zéro degré, j'ouvre le battant et passe ma tête à l'extérieur. Le froid me fouette le visage, mes joues me brûlent, mais ce n'est pas désagréable. Je me sens un peu vivre. Il me manque juste une clope pour que le tout soit parfait.

Soudain, j'entends une voiture patiner sur le gravier. Je détourne mes yeux de la Lune pour les poser sur le discret véhicule noir. Je le reconnais très bien : il appartient à Elio. Une silhouette ouvre la portière avant et sort de la voiture pour aller ouvrir le portail. Puis la voiture pénètre dans le jardin, avant de se garer juste sous ma fenêtre. Mon cœur s'agite. Captivée, j'observe Elio se diriger vers le perron. Il a l'air fatigué, car il s'écroule sur les marches en soupirant. Je le vois sortir un paquet de tabac de sa poche, et commencer à se rouler un joint. J'ai bien envie de le rejoindre. Très envie même.

« Je peux venir ? demandé-je doucement en ouvrant la porte.

Il semble étonné de me voir ici mais ne dit rien et se déplace un peu sur le côté pour que je puisse m'installer à sa gauche. Je m'assoie en me frottant vigoureusement les bras avec mes mains pour me réchauffer un peu.

_ T'en veux ?

J'opine et porte lentement son joint à mes lèvres. Je savoure la fumée qui entre profondément dans mes poumons. Je n'avais pas fumé depuis longtemps. Surtout de l'herbe. Depuis la soirée où je me suis retrouvée à califourchon sur lui, en fait. Mine de rien, cette odeur me rappelle de bons souvenirs.

_ Je devrais pas t'en parler, mais à Bellerue c'est vraiment la merde depuis que Mélanie a fait son OD. » chuchote-il après un long silence.

Raphaëlla [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant