Chapitre 37

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« On attend qui d'autre ?

_ Marcel, Moctar, Omar, Ryad, et peut-être Vincent.

_Non. Il vient pas lui.

_Pourquoi ?

_C'est une poucave. Il l'a dit à Zachary que Raph se cachait ici.

_Mais non ?

_La vie. Il est venu la chercher avec un flingue. Heureusement qu'elle s'était barrée. Comme si elle l'avait senti. »

Elio me lance un regard complice depuis l'autre bout de la pièce. Je souris doucement, puis baisse à nouveau la tête vers le plan de travail.

Aujourd'hui, c'est à moi de cuisiner. Je n'ai pas pu y échapper longtemps. Alors j'ai décidé de cuisiner la meilleure chose que je sais faire : des pâtes à la carbonara. Bon, c'est aussi la seule chose que je sais faire. Mais ça a l'air de ravir les garçons, donc tout le monde y trouve son compte.

Ça fait maintenant une semaine que je vis au Sotano. Elio m'a raconté qu'il avait croisé Zachary, et que ce dernier voulait « me régler mon compte ». J'avoue que ça m'a bien fait flipper sur le moment. Et je n'ai pas pu cacher mon inquiétude. Mais Elio m'a rassurée autant qu'il le pouvait : « Tant que je serai là il osera rien faire. T'inquiète pas hermosa. ». Je ne lui ai pas dit pourquoi mes rapports avec Zachary étaient si conflictuels. Peut-être parce que j'en ai honte. Ou que j'ai peur qu'il me traite de folle, de menteuse. Elio pense que c'est seulement à cause de ce qui est arrivé à Mélanie que je déteste Zachary. Si ce n'était que cela, je lui aurais sûrement pardonné. Cependant, à l'heure qu'il est, je nourris une rage intérieure contre Zachary qui ne pourra jamais être tarie. Je veux simplement que ce fils de pute crève ou finisse ses jours en prison. Et le meilleur, c'est qu'Elio est de mon côté.

En revanche, j'ai raconté à Elio le plan que je mijotais la semaine dernière, quand je me suis échappée du Sotano : retrouver Zachary, le faire boire et enregistrer ses confessions.

Elio m'a dit que c'était une idée de merde.

Avec le recul, je pense qu'il a raison. Zachary est quand même plus intelligent que je ne le pensais. Il protège bien ses arrières, surtout en ce moment où le chef du réseau veut le faire tomber, ainsi qu'une bonne moitié de la ville. En effet, après la dispute entre Elio et Zachary, le quartier s'est scindé en deux. Elio contrôle la partie est de St-Hady, où se trouvent notamment le Sotano et ma résidence, tandis que Zachary rôde dans l'ouest, et principalement à Bellerue.

« On doit récupérer le terrain, annonce Elio une fois tous ses coéquipiers arrivés. Zachary a peut-être des armes, mais nous on est plus nombreux et on peut demander de l'aide aux gars des villes d'à côté. Y en a beaucoup qui ont une dette envers moi, d'ailleurs.

_Euh, ça consiste en quoi exactement « récupérer le terrain » ? chuchoté-je à Moctar.

_Qu'on va les dégager, répond-il.

_Non. Ils vont rester et perdre une oreille.

_Vous êtes sérieux ? couiné-je.

_J'rigole. T'as cru on était des pirates ? On va pas leur couper une oreille, mais ils vont quand même prendre cher.

_Avant de réfléchir à ça faut qu'on s'organise, interrompt Elio. On va faire ça par étapes. D'abord, on doit prendre le contrôle autour de Bellerue pour les isoler. Comme ça on est sûr qu'ils recevront pas d'aide et qu'ils pourront pas prendre la fuite. En même temps on va se trouver des me-ar. Et évidemment, il faut d'autres gars en renfort.

_Je peux appeler mon cousin de La Ferté.

_Y a Moha aussi.

_Je vais appeler mes gars d'Ivry.

Je les écoute donc débiter des noms, sans en connaître aucun, évidemment. Au bout d'un moment, la liste se fait longue et semble ne jamais vouloir s'arrêter. Comment peut-on connaître autant de monde à Paris ? Je me contente donc de me taire et de préparer mes pâtes, tout en souriant par moment à Elio.

Ce dernier ne fait que de me lancer de petits coups d'œil, qui ont le don d'instantanément m'électrifier et de me faire détourner le regard en rougissant. Si les autres ont remarqué la tension qui s'exerçait entre nous deux, personne ne l'a encore fait remarquer.

Mais peut-être que je me fais des films. On n'a jamais parlé de couple avec Elio. D'ailleurs on ne s'est toujours pas embrassé de nouveau. Mais je sens qu'il se passe quelque chose. Comme une attirance, qui passe par des petits gestes affectifs, des taquineries, des regards en coin... Je ne veux pas qu'on joue avec mon cœur, donc un jour il faudra que je prenne à part et qu'on mette les choses au clair.

Mes pâtes prêtes, je distribue des assiettes et commence à servir des parts généreuses à chacun. Je n'ai jamais su cuisiner en petite quantité. Je suis sûrement faite pour être mère de famille nombreuse. Ou femme de mafieux. Enfin, je ne qualifierais pas vraiment les garçons qui se trouvent autour de moi de « mafieux ». On dirait plutôt des jeunes adultes classiques au sens de l'honneur maladif, prêts à déployer les grands moyens pour des conflits qui ne méritaient certainement pas qu'on prenne autant de risque à les résoudre par la violence.

« Et si y'a la police qui fait une descente ? me risqué-je à demander.

_ Ca a jamais été un soucis ça. Ils sont incompétents. Tant que ça reste vers Bellerue ils oseront pas venir. Sinon on demandera aux petits de caillasser les fourgons. Hein Ryad ?

_Crari j'suis ton petit moi ?

_Askip ça dort toujours dans le lit de sa daronne hein.

_Mais nique ta mère toi ! C'est pas vrai zebi. »

Et ça recommence. Ils s'embrouillent comme des enfants. C'est peu mature, mais je souris doucement en les écoutant. Ils s'entendent tous super bien, c'est trop mignon. Ces gars-là sont ceux qui sont restés fidèles à Elio, malgré sa mauvaise posture. Mais ils savent que c'est un gars bien. Ils ont confiance en lui. Rien que de penser à cela, j'en ai la larme à l'œil. Trop d'émotion.

Il faut vraiment que je me repose, moi. Cette fin d'année a été plutôt intense. C'est bientôt Noël d'ailleurs. Mais bon, je n'ai pas osé ramener le sujet sur le tapis. Je crois que les garçons ont d'autres chats à fouetter en ce moment. Et puis, beaucoup ne doivent même pas fêter Noël à la maison. De toute façon, c'est commercial. Et je ne suis même plus croyante.

Après avoir discuté de la première partie de leur plan, ils en viennent à parler du moment fatidique, ou tout basculera, positivement ou négativement.

« Vous me laisser Vincent, je veux m'occuper personnellement de ce petit pédé.

_Je sais pas si je saurais me retenir si je le croise avant.

_La même. Je vais la crosser cette grosse tarlouze.

_Sinon archi bon tes pâtes Raph.

_Merci...

_Ça va pas ? s'inquiète Elio.

Ce dernier s'est faufilé à mes côtés pour me parler discrètement dans l'oreille, une main sur mon épaule et l'autre frôlant mon bassin. J'ai envie de la lui prendre pour la poser autour de ma taille.

_Si. Non. Je sais pas.

_Dis-moi.

_Vous allez vous battre ?

_C'est prévu. C'est le seul moyen tu comprends ?

_Ça me fait peur Elio.

_T'as pas à t'inquiéter. Ça va pas durer longtemps, et t'auras rien à faire. Je veux pas que tu sois mêlée à tout ça.

Les larmes commencent à me monter aux yeux. Foutus hormones.

_Tu comprends pas... J'ai peur pour toi, articulé-je. J'ai peur qu'il t'arrive quelque chose.

_T'inquiète pas », répète cet idiot en m'enlaçant.

J'enfouis mon visage entre ses pectoraux et renifle son odeur. J'aimerais me fondre en lui pour ne jamais avoir à le quitter.

Raphaëlla [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant