Chapitre 5

309 19 3
                                    

Le dimanche, j'avais pour habitude de me lever tôt pour aller courir. Puis j'ai arrêté, parce que j'ai maintenant peur de m'aventurer seule dans les rues désertes. Mais ce matin, j'ai pris mon courage à deux mains, et j'y suis allée. La soirée de la veille m'a plongée dans un tel état de frustration, que j'avais ressenti le besoin de me réfugier dans le sport pour éliminer les ondes négatives qui bouillent en moi.

Je rentre à l'heure pour le déjeuner « en famille ». C'est un nouveau concept, instauré il y a maintenant deux semaines par une mère radicalement changée. Dans le couloir, je trouve Christian, qui gesticule à tours de bras. Soufflant comme un buffle, il tambourine à la porte de sa fille. Finalement, nous entendons une voix pâteuse crier « C'est bon ! J'arrive... » depuis la chambre.

Je me rends dans la cuisine pour prendre les assiettes, pendant que Mélanie et son père passent les pieds sous la table, sans même me proposer leur aide. J'embrasse furtivement ma mère, qui s'essaie encore une fois à la cuisine.

Ma mère n'a jamais cuisiné de sa vie. Tous les jours, on mangeait de mauvais plats rapides à réchauffer. Lorsqu'à la fin du mois, on manquait de sous pour faire les courses, on se faisait des sandwiches avec les moyens du bord. On parvenait à y fourrer tous les ingrédients qui restaient dans les placards. Ça allait du riz au Mr. Freeze périmé. Seulement à ces moments-là, ma mère nous autorisait, mon père et moi, à manger dans le canapé, devant un film d'action. Alors même si je mangeais peu et mal, c'étaient mes moments préférés. Je les j'attendais presque avec impatience.

Depuis l'arrivée de Christian, nous avons plus de sous pour acheter à manger. Mais nous sommes également forcées de changer nos habitudes alimentaires.

De toute façon, à la mort de mon père, j'ai arrêté de manger des sandwiches dans le canapé. Ce ne sera plus pareil, sans lui. Et maintenant, on doit manger exclusivement des plats faits maison, composés de produits frais et issus du commerce équitable. Alors même si ma mère ne sait pas cuisiner, elle s'efforce de suivre des recettes healthy sur Youtube pour faire plaisir à son nouveau copain. Quand nous goûtons ses tentatives culinaires, je lis une légère expression de dégoût sur le visage de nos invités. Moi, j'apprécie réellement le plat. Parce que je me rends compte des efforts que ma mère produit pour que la cohabitation se passe bien.

Pas une seule fois de tout le déjeuner, ni même au dîner, Mélanie ne daigne croiser mon regard. Je comprends qu'elle est énervée à cause d'hier soir. Son attitude renfermée contraste avec son comportement habituel.

Ses démonstrations de haine ne m'affectent pas. Je ne ressens pas l'envie de me faire pardonner pour quel s'adoucisse. Au contraire, je la laisse improviser toute seule des réponses aux questions que lui posent les adultes, telles que « Alors, tu t'es faite de nouvelles amies hier ? », « Vous avez fait quoi ? », « Pourquoi tu as l'air si fatiguée, si vous avez juste regardé un film ? ».

Je parie qu'actuellement, elle a une gueule de bois si terrible, qu'elle galère à se concentrer sur les questions qu'on lui assaille.

***

Le lundi suivant, la journée au lycée se déroule plutôt mal. Ainsi que les autres jours, à vrai dire. Mes amis aussi m'en veulent pour samedi soir.

Mélanie leur a fait bonne impression. Elle était « bon délire ». Moi, même si personne ne me l'a dit explicitement, j'étais la rabat-joie qui l'a empêchée de concrétiser avec son crush.

« Elle n'a que quatorze ans, c'est une gamine ! m'exaspérais-je.

« Si vous aviez vu comment Zachary la regardait, ça faisait froid dans le dos.

Raphaëlla [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant