Chapitre 49

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Vingt-trois heures. Si mes souvenirs sont bons, Moctar avait précisé que la descente commencerait à vingt-trois heures. Il est vingt heures. Dans trois heures, on certainement des cris en bas, dans la rue. Peut-être même que je verrai un feu s'allumer au loin. Cela fait depuis longtemps qu'il n'y a pas eu de règlements de compte dans le quartier de Bellerue. La génération antérieure à la nôtre a mis du temps afin de rétablir la paix entre les habitants.

Je trouve cela vraiment dommage de tout ruiner maintenant.

« Tu penses à quoi ? s'interroge Sofia derrière-moi.

J'écrase ma cigarette contre le rebord de la fenêtre, puis je jette mon mégot dans le verre qui me sert de cendrier.

_Je regardais le ciel.

_On ne voit même plus les étoiles, à cause de la pollution lumineuse... En Normandie, on les voit archi bien. On peut même repérer la Grande Ours, et toutes les autres constellations. Mais je connais pas leurs noms.

_J'ai jamais vu les étoiles.

Je fais signe à mon amie de se décaler pour me laisser une place dans le lit. Elle se relève, mais ne me laisse pas le temps de m'étendre sur le matelas moelleux.

_T'allonge pas ! Tu vas t'endormir.

_C'est l'objectif, ouais.

_Non, c'est bientôt l'heure de manger.

_J'ai pas faim.

_Dans cette maison, on a toujours faim. Si on n'a pas faim, c'est qu'on est malade. Et si on est malade, il faut manger. Pour prendre des forces.

_C'est complètement con.

_Allez, viens. En plus c'est toi qui dois faire la vaisselle ce soir. Essaie pas d'esquiver. »

Bon, je suppose que je n'ai pas le choix. Je reste donc debout, pour suivre Sofia dans le couloir d'un pas lourd. En descendant les escaliers, je me retiens de ronchonner. Actuellement, je n'ai envie que d'une chose : m'endormir, et ne me réveiller que demain matin, quand cette soirée sera passée. Car plus longtemps je reste éveillée, plus je rumine, plus je m'invente des scénarios tous plus malheureux les uns que les autres. Je n'ose même pas trop y penser, de peur de provoquer le destin. Mais en voulant m'empêcher d'y penser, j'y pense encore plus. Putain de cercle vicieux.

« On mange quuooi papa ?

_Pizzas, ça te va ?

_Ok ! Une quatre fromages pour moi. Et pour Raph, une Regina, c'est ça ?

_C'est ça. »

Je m'affaire à dresser la table, pour ne pas m'assoupir, tandis que Según appelle la pizzeria. Sofia ne laisse pas transparaître une ombre de crainte dans son attitude. En même temps, j'ai passé toute la journée à la rassurer. Je lui débitais des paroles auxquelles même-moi, je ne croyais pas. Mais elle, elle n'a pas demandé à en savoir plus. Elle croit en moi. Je devrais peut-être avoir honte de lui mentir. À vrai dire, je regrette.

Je regrette d'avoir décidé de lui mentir au sujet des activités illégales de son frère, parce que maintenant, je me retrouve empêtrée dans mes propres mensonges : je ne peux pas lui montrer mon inquiétude, je ne peux pas lui faire part de mes scénarios, je ne peux même pas lui demander son avis sur la situation.

Je suis condamnée à souffrir en silence, et à afficher une mine sereine devant le père et la sœur d'Elio. J'espère au moins que les pizzas arriveront vite, et qu'ils seront trop fatigués pour me taper la discussion.

« Alors Raphaëlla, où en êtes-vous avec mon fils ?

Alerte rouge. Panique.

_Tout va pour le mieux, je chantonne.

Raphaëlla [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant