Chapitre 27

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Deux semaines se sont écoulées depuis ma dispute avec Mélanie. Deux semaines qu'on ne se parle plus. Deux semaines qu'elle ne rentre quasiment jamais à la maison. Les adultes commencent à s'inquiéter. Ma mère me demande tous les jours avec qui elle peut bien être, qu'est-ce qu'elle peut bien faire de ses journées. Je l'envoie toujours balader, lui répondant que c'est bien le cadet de mes soucis. J'étais remplie des intentions les plus nobles, mais elle m'a prise pour une bouffonne. Alors maintenant, je la laisse se démerder. Elle n'est pas mon amie, et encore moins ma sœur. C'est une inconnue à mes yeux. Un jour ou l'autre, elle se rendra bien compte que les gens qui lui veulent du bien attendent du respect en retour. En attendant, son sort ne m'intéresse plus. Elle a fait une grosse connerie, et c'est tant pis pour elle.

Je ne peux plus vivre un instant sans penser à mon père. J'ai l'impression qu'il me regarde, et qu'il réagit à tout ce que j'entreprends. Je peux même entendre ses commentaires résonner dans mon crâne. Et je sens qu'il approuve tous mes choix. Je ne dois pas me laisser marcher dessus. Je ne dois pas courir après les gens, si eux me fuient. Au contraire, je dois les laisser s'éloigner de moi jusqu'à ce qu'ils se rendent compte de leur bêtise. Alors, ils reviendront d'eux-mêmes.

Je voulais sauver Mélanie de la rue. Je ne voulais pas reproduire l'erreur de ma mère, qui n'a pas pu sauver mon père. Mais la vérité, c'est que mon père était quelqu'un de respecté, qui savait très bien ce qu'il faisait. Je l'ai lu dans le regard craintif de Vincent. Je l'ai lu dans le regard haineux de Zachary, ou dans le regard admiratif d'Elio. En y réfléchissant, je pense qu'il est effectivement mort dans un accident de voiture. Zachary n'aurait pas pu le tuer. Sinon quelqu'un d'autre aurait essayé de venger mon père. C'était quelqu'un de bien.

« Ouhou ! Tu m'écoutes ? s'impatiente Rémy.

_ Ouais pardon j'étais dans la Lune...

Inès nous a invités tous les quatre à jouer aux cartes chez elle. On ne s'était pas réuni ainsi depuis un petit moment. Je suis contente de passer une soirée en comité réduit, avec des gens que j'apprécie et qui me font absolument mourir de rire. Nous voilà donc ici un samedi soir, à boire une bouteille de rosé acide et à se crier dessus car chacun triche plus que son voisin. Mais même si je m'amuse énormément, je n'arrive pas à détacher mon esprit de Bellerue, du réseau, de cette maudite Mélanie, et des autres. Je n'en ai parlé à personne : ni à mes amis, ni à Mensah, et encore moins à Sofia ou à ma mère. Et ce silence me tue à petit feu. Je suis hantée par toute cette histoire et les sentiments contradictoires qu'elle fait naître en moi. J'ai besoin de tout déballer à quelqu'un, mais je ne peux pas.

_ T'as quoi depuis deux semaines Raph ? me demande Julia en rebattant les cartes. T'es avec nous mais t'es pas avec nous genre.

_ Elle est amoureuse, c'est pour ça.

_ N'importe quoi, ronchonné-je.

_ Alors pourquoi tu rougis ? S'esclaffe Inès en me dévisageant insistement.

_ Je tombe pas amoureuse moi. C'est les garçons qui tombent amoureux de moi.

_ Lol. Tu vérifierais pas autant tes messages si c'était vrai.

Effectivement, je regardais compulsivement l'écran de mon téléphone. Mais moi-même, je ne sais pas vraiment de qui j'attends un message. Sûrement de Mélanie, pour pouvoir lui répondre un beau doigt d'honneur.

_ En parlant d'amoureux, ça se passe comment avec Vincent ? Chantonné-je à l'attention de Rémy.

Hop, c'est ce qu'on appelle un beau changement de sujet. En effet, je ne tiens pas particulièrement à parler de Mensah. Moi-même, je ne sais pas précisément où on en est, tous les deux. Je ne ressens rien en particulier en sa présence, mais il me divertit. Surtout quand on s'embrasse. Mais on n'est jamais allé plus loin. Je n'en ai pas envie. Comme je l'ai dit, il ne me fait plus vraiment d'effet. Et je ne sais pas comment l'expliquer à mes amis sans passer pour une connasse qui joue avec le cœur d'un gentil garçon. Alors j'esquive toujours le sujet quand il arrive sur le tapis. Les filles semblent bien s'en rendre compte, mais les nouvelles sur la relation qu'entretiennent Rémy et Vincent sont tout aussi croustillantes. Alors elles passent outre mon essai de diversion pour s'intéresser au seul garçon du groupe :

_ Pourquoi tu changes de sujet comme ça ?

_ Je te refile la patate chaude, ricané-je.

_ Alors ? Ça dit quoi ?

_ Ça dit qu'on parle bien c'est tout.

_ Parler bien genre comment ?

_ Bah on parle tous les jours quoi. De tout et de rien. Parfois c'est chaud, parfois c'est drôle, mais la plupart du temps on parle juste d'animés.

_ Et vous avez prévu de faire un vrai date un jour ?

_ C'est possible...

Nous crions toutes en chœur, exprimant notre excitation. Il a vraiment fallu lui tirer les vers du nez pour soutirer cette information cruciale.

_ Quand ça ? Quand ça ?

_ Je sais pas, on a pas fixé de date précise ou quoi. Je sais même pas où on pourrait se retrouver sans être reconnus.

_ Attends, l'interrompé-je. Je croyais que t'étais pas gay.

Mes amis commencent à me jeter leurs cartes à la figure, me hurlant que je ne les écoutais vraiment pas depuis deux semaines. J'admets ne pas avoir toujours tout écouté attentivement, mais je ne pensais pas louper d'aussi gros détails. Rémy me remet à jour, non sans soupirer à grands coups :

_ Bah au début je lui parlais que pour me foutre de sa gueule t'as capté. Puis après je me suis rendu compte qu'il était vraiment marrant, alors j'ai commencé à lui parler sérieusement.

_ Tu rougis.

_ Ta gueule.

_ Pardon.

_Du coup je disais qu'au bout d'un moment j'ai commencé à lui parler sérieusement, puis il a commencé à inclure des allusions sexuelles dans ses messages. En mode faut avoir un esprit tordu de ouf pour comprendre. Alors je suis rentré dans son jeu, et c'est devenu de plus en plus explicite.

_ Du coup t'es carrément gay en fait.

_ Bah je lui je l'aime bien je crois. Mais je sais pas, physiquement il m'attire pas plus que ça quoi. Il a les yeux bleu, j'aime pas.

_ Oui bah après je suis pas attirée par David, ça veut pas dire que je suis pas hétéro hein.

_ T'es conne, personne est attiré par David. Ce que je veux dire, c'est que je sais pas si ça serait pas gênant qu'on se voie en vrai.

_ Tu sauras jamais si tu te défiles. Il a l'air drôle en plus, chuchoté-je.

En fait, il est drôle. Je le sais parce que j'ai déjà discuté avec lui. Au début de l'année, à la première soirée chez les Mendoza. Mais je ne peux pas l'apprendre à mes amis, parce qu'ils poseraient des questions, et me reprocheraient de ne pas leur en avoir parlé. Mais du coup, je sais que Vincent peut être plutôt drôle quand il le veut. Quand il a plus de trois grammes d'alcool dans le sang du moins. Parce que quand il est sobre, c'est pas la même chose. Je dirais même qu'il est plutôt insupportable.

D'ailleurs, depuis les événements de la dernière fois, il baisse les yeux quand je le croise dans les couloirs du lycée. Et je n'ai plus peur qu'il m'accoste en sortant de la cantine pour menacer ma famille. À la limite, c'est moi qui peut le faire pleurer en lui faisant une feinte.


SMS de Mélanie à Raph : S.O.S

Alors là, si elle pense que je vais me déranger pour sa gueule, elle se fourre le doigt dans l'œil.

SMS de Raph à Mélanie : 🖕

Ce message, c'était la pire erreur de ma vie. Je ne me le pardonnerai jamais.

Raphaëlla [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant