Chapitre 4

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Après m'avoir accompagnée jusqu'aux vestiaires, le garçon est happé par un groupe d'hommes plus âgés. Sûrement des habitués de ce genre de soirées. Il m'a laissée seule. Je n'ai même pas eu le temps de le remercier, ou de lui demander son nom.

La pièce est si sombre que je ne parviens pas à distinguer le visage des personnes qui s'agitent autour de moi. Le DJ passe le dernier son de JuL. Il est sorti il y a seulement deux semaines, mais il est déjà disque d'or. Les enceintes vibrent si fort, que je sens mon cœur danser avec les basses. Les cris de la foule me percent les tympans. Il y a plus de gens que je ne l'imaginais. Plus de pétasses qui crient d'une voix péniblement aiguë.

Je me fraye un chemin vers le bar avec difficulté, à la recherche mon groupe d'amis. Je les trouve près des carrés VIP, en train de quémander des verres à des dealers. Cet endroit est un repère de voyous. Ils viennent de toutes les cités d'Ile-de-France.

J'aperçois enfin Julia. Elle saute sur une table, brandissant une bouteille de champagne d'une main, fumant trois cigarettes de l'autre. Elle doit déjà avoir plusieurs grammes d'alcool dans le sang pour s'afficher ainsi. Elle qui fait habituellement très attention à son image. Mais je n'ai pas le temps de la raisonner. Je me faufile jusqu'à ses pieds, où je retrouve une Inès riant aux éclats. Je lui tire un bras avant qu'elle n'ait le temps de l'enrouler autour du cou d'un grand brun aux joues tâchées de rouge. Agacée au début, elle réalise ensuite qui se trouve en face d'elle. Elle m'enlace en s'exclamant :

« Ouhou ! T'es venue ! Regarde ! on nous a invitées au carré VIP !

Je hoche la tête, pas vraiment d'humeur à m'extasier. Je lui demande où se trouve Mélanie, mais elle ne m'entend pas. Après trois tentatives, ma voix parvient enfin à s'élever au-dessus de la musique. Inès se tord le cou dans tous les degrés afin de repérer la fille dans la foule. Après un moment, elle me crie dans l'oreille :

« Je sais pas !

Super.

« Mais je crois qu'elle est montée à l'étage avec des gars ! »

Bah voilà.

Je me précipite dans la direction qu'elle pointe du doigt. Dans mon dos, ses exclamations de mécontentement parviennent tout de même à mes oreilles : « Mais pourquoi tu te tailles ?! Reste danser avec nous ! ». Rémy me prend par le bassin pour m'attirer vers la piste, mais j'arrive à me dégager de son emprise pour me faufiler dans la foule.

***

La musique se fait plus sourde au fur et à mesure que je grimpe les escaliers. L'air se fait également plus respirable. L'atmosphère est plus calme, moins oppressante. J'arrive dans un long couloir aux multiples portes. Je me dirige vers la première pour l'ouvrir, mais un homme la bloque de ses deux bras. Il m'informe que son pote se trouve dans cette chambre, « avec deux nanas ». Il m'invite à me joindre à eux mais je décline l'offre. Je poursuis donc mon chemin. Au bout du couloir, se trouve une autre porte, entrouverte, d'où se dégage une lumière bleutée. Je m'en approche pour jeter un coup d'œil à l'intérieur.

Une dizaine de femmes dénudées se déhanchent sur de la musique latino-américaine. Parmi elles, je reconnais des filles de mon lycée, qui n'ont même pas encore seize ans. Autour d'elles plusieurs garçons sont avachis sur des canapés. Ils les dévorent du regard, tout en fumant de l'herbe et rigolant grassement. Certains s'échangent discrètement des billets, puis se lèvent pour aller intimer à une fille de s'isoler avec eux dans une chambre. Un groupe arrive derrière moi. Je me fais pousser dans la pièce, en même temps qu'il y entre.

J'aperçois Mélanie, assise sur le canapé. Ou plutôt, à califourchon sur Zachary. Les mains de ce-dernier agrippent fermement les fesses de la gamine, l'attirant de plus en plus contre lui.

J'arrive à leur niveau, et tapote l'épaule de Mélanie. Elle ne réagit pas, obnubilée par le sourire coquin que lui lance son partenaire. Je secoue brusquement son épaule, secouant l'entièreté de son corps frêle.

Après avoir traversé la moitié de la ville, visité une laverie, descendu dans une cave et traversé une marée humaine, je n'ai plus la patience de regarder cette gamine faire les yeux doux à ce porc.

Elle pousse un cri strident et se jette contre le torse de Zachary, comme pour se protéger de moi.

« T'as rien de mieux à faire ? Casse-toi de là ! S'énerve-t-il.

Je pourrais avoir peur de lui. Cependant, comme je l'ai dit, ma patience a des limites. L'obscurité de la pièce ne laisse pas entrevoir la dureté habituelle de son regard, ce qui me donne de l'assurance. De plus, je ne risque rien ici. Il y a beaucoup de monde. Donc beaucoup de témoins, si jamais les choses dérapent. Ce n'est pas comme si j'étais seule dans une ruelle sombre et déserte, entourée de dix mecs malveillants.

_Viens Mélanie, on rentre.

Elle secoue la tête de gauche à droite, avant d'enfouir son visage dans le torse de Zachary.

_Va-t'en. Tu me fais chier, on s'amusait.

_Ouais tu nous fais chier là, renchérit Zachary.

Il me fait un clin d'œil qui en dit long sur ses intentions pour ce soir.

« Elio ! Prends tes gars et faites-là descendre. Je sais même pas pourquoi vous l'avez laissée entrer ici. Elle va tout balancer à la police.

_ Elle peut descendre toute seule, j'suis pas son daron. »

Je tourne la tête pour voir qui vient de lui répondre. Le prénommé Elio est vautré aux côtés de Zachary, une autre lycéenne sur les genoux.

C'est le garçon de tout à l'heure. Celui qui m'a faite entrer ici. Je ne sais pas s'il me reconnaît, puisque son visage n'exprime aucune émotion. Mon sang se glace. Mes jambes se dérobent sous mon poids. Mais je me fais force pour soutenir son regard. Je suis concentrée sur ma mission. Surtout qu'il ne semble pas content de me revoir, mais plutôt agacé par ma présence. Je l'importune dans sa petite séance pelotage entre collègues. Après quelques secondes de réflexion, je décroche mes yeux des siens pour m'adresser exclusivement à l'autre bouffonne :

« J'ai dit à nos parents que j'allais te chercher chez une amie. Alors tu lèves ton cul tout de suite et on rentre. Sinon je leur dis tout, je m'en bats les couilles. Mais tu n'aimerais pas trop que ton père apprenne qui sont tes nouvelles fréquentations. Ça serait con de retourner si vite en Italie. »

Tellement con.

***

Peut-être que je suis une rabat-joie. Peut-être que je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Mais je sais de quoi ces gens sont capables. Ils sont les auteurs des pires atrocités. J'ai entendu des histoires que Mélanie n'imagine même pas. Je fais cela uniquement pour la protéger, au fond.

Parce que personne n'était là pour moi.

Raphaëlla [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant