Toxic and friends [BxB]

Chapitre 41

Mon père lève les yeux de son journal, retire ses lunettes de lecture et son visage s'illumine d'un grand sourire faisant apparaître des rides aux coins de sa bouche. 

"Bonjour Jordan ! Comment ça va ?"

Le regard qu'il pose sur moi est très doux et je sens mon cœur se serrer. Il m'avait manqué.

"Très bien et toi ? 

- On fait aller, répond-il avec un demi-sourire, sachant pertinemment que cette expression m'exaspère. 

- Pas trop de travail en ce moment ? 

- Il me reste un petit tas de copies à corriger, je prends mon temps. Et toi la fac ? T'as profité de tes vacances pour bosser tes partiels j'imagine ?"

Mon cousin étouffe un gloussement et je détourne le regard, légèrement mal à l'aise. 

"Oui, j'ai commencé. Tu sais ce que maman prépare de bon ? 

- Aucune idée, elle tient à nous faire la surprise je pense. 

- À en juger par mon odorat surdéveloppé, déclare Léo, je dirais qu'elle a fait... Du gigot d'agneau aux pommes de terre. 

- Ton odorat de rien du tout, elle en fait à toutes les occasions !

- Au moins tu ne peux pas critiquer ma mémoire gustative."

Mon téléphone vibre dans ma poche et je ne peux m'empêcher de le sortir, en essayant de ne pas me faire remarquer pour ne pas attiser les questions indiscrètes de mon cousin. Heureusement, ce dernier a déjà trouvé une nouvelle occupation : il a ouvert l'imposant buffet du salon et son regard passe en revue les tasses en porcelaine de ma mère et les magazines de sport de mon père. En déverrouillant mon téléphone, je découvre que c'est effectivement un message de Titouan mais qu'il a juste répondu "ouais" à une question sans importance. Il doit sûrement être trop occupé pour s'intéresser au reste de mes messages. Malgré sa franchise parfois blessante, je n'arrive pas à déterminer quelle importance j'ai à ses yeux. Je me dis que la meilleure solution serait de lui faire part de mes doutes mais il a l'air tellement détaché de mes préoccupations sentimentales...

"Vous avez des magazines automobiles de 1980 ! s'exclame Léo, me tirant de mes pensées."

Il brandit une gazette à la couverture déchirée qu'il ouvre à une page au hasard. 

"Wow, les vieux modèles...

- Tu devrais être content Andy, quelqu'un s'intéresse à tes chiffons ! lance ma mère qui vient d'apparaître par la porte de la salle à manger. Je ne sais pas si vous avez faim mais on va passer à table."

J'aide mon père à changer de fauteuil et on suit ma mère dans la pièce d'à-côté. À quatre, la table me parait très grande par rapport aux vrais repas de famille, lorsque l'on convie tantes, oncles et cousins pour les fêtes. 

~~

"Attendez j'ai une blague. Pourquoi les canards sont toujours à l'heure ?"

Quelques verres de vins se sont vidés depuis le début du repas et j'ai maintenant le ventre plein et un léger mal de tête. Déjà que je ne suis pas habitué à boire, la voix braillarde de mon père qui se répercute dans mon crâne comme un boomerang  est d'autant plus désagréable. 

"Parce qu'ils sont dans l'étang !

- C'est nul Tonton ! souffle mon cousin, un couteau à fromage à la main. À moi, comment on appelle le cul de la Schtroumpfette ? 

- Léo ! râle ma mère en essayant d'avoir l'air plus emportée qu'elle ne l'est vraiment. Pas à table ! 

- Le Blue-Ray ! Rooh c'est bon, j'en ai des pires."

Je rigole, me remémorant sa tentative d'humour vaseux chez mes grands-parents, quand on était en vacances chez eux, il y a presque une dizaine d'année. Je ne me souviens plus de la blague mais je me rappelle de la tête de mon cousin quand il a été puni pour sa vulgarité. Pendant sa corvée de vaisselle, il bougonnait tout seul en revendiquant sa liberté d'expression et sa future carrière d'humoriste.

Je me rends compte que tous ces gens que j'ai toujours connus, malgré leurs défauts, sont les seuls étant vraiment là pour moi aujourd'hui. Mes grands-parents fermés d'esprit, mon cousin et son immaturité, mon père parfois sénile et ma mère qui râle pour tout et rien sont mon point d'appui et ma seule certitude est que quoi qu'il arrive, je ne suis pas seul.