Chapitre 68

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Pris d'une envie de vomir, d'un dégoût qui agite mon corps entier, je retourne dans le couloir et mes pas déboussolés me mènent jusqu'aux toilettes, qui heureusement sont libres. Je claque la porte et tombe directement à terre, les yeux fermés et en me mordant les lèvres. Après un moment d'égarement, c'est la douleur physique qui parvient à mon esprit, c'est mon cœur qui se sert et mon nez qui pique et ma gorge et mes yeux qui brûlent et- 

Un sanglot franchit la barrière tremblante de mes lèvres, l'obstacle que je m'étais construit et détruit tout sur son passage, ne laissant que du chagrin. Le temps passe, et ma perception s'assombrit, je le hais mais je me hais encore plus. Je me hais d'avoir espéré, d'y avoir cru. Peut-être que si je n'avais pas vu ça, tout aurait continué de façon idyllique, je n'aurais jamais ressenti cet abîme dans ma poitrine, comme si tout en moi s'écroulait. Alors que je compte rester allongé là pour l'éternité, je sursaute à cause de forts cognements à la porte. 

"Ouvrez, je vais gerber !"

Je reconnais cette voix, c'est Théo. Alors, oubliant mon corps, je me relève difficilement et ouvre pour faire face au jeune homme qui me voit à peine et fonce sur les toilettes. Je déroule du papier et lui tends. Quand il reprend ses esprits, il me dévisage. À l'expression de son visage, à ce regard de pitié, je sais qu'il a compris. 

"Oh, mec, je suis tellement désolé. Il t'a pas fait ça quand même ?"

Mes yeux se baissent d'eux mêmes et, même en mordant l'intérieur de la lèvre jusqu'au sang, un nouveau sanglot me remue et les larmes recommencent à couler. Je suis pitoyable. 

"Bouge pas, je vais chercher Shams."

Une seconde plus tard car mon cerveau n'a plus la notion du temps, une main délicate se pose sur mon épaule et je tombe dans les bras de mon amie. Ma respiration s'accélère et j'ai l'impression de faire une crise d'angoisse. Le monde me parait trop bruyant, trop lumineux, chaque présence comme une agression. 

"Viens, on va prendre l'air."

On contourne les invités qui ne font pas attention à nous et on descend les escaliers de l'immeuble, ce qui me semble très long et fatiguant. On s'assoit tous les deux sur le palier, l'un contre l'autre. J'essaye de fermer les yeux mais ça ne me fait rien oublier, au contraire je revois la scène en boucle. 

"J'ai soif, annoncé-je d'une voix rauque.

- J'ai de la bière mais je ne suis pas sûre que...

- Donne-la moi."

Shaïma me tend la bouteille et je bois, l'alcool se répand dans mon corps et me réchauffe peu à peu. J'en veux plus. 

"Tu peux aller me chercher une autre bouteille ? Non, deux autres ?"

Je sais qu'elle veut refuser, je la comprends. Mais elle sait que je ne contrôle plus rien et que rien ne m'arrêtera. En croisant mon regard noir, elle se lève et remonte dans ce putain d'appart que je maudis à présent. Je devrais marcher un peu pour essayer de me calmer mais mes jambes sont lourdes et je ne peux que m'affaler encore plus. Shaïma redescend et sans un mot, je lui arrache les bouteilles des mains. Je sens son bras autour de mes épaules, j'entends sa voix chuchoter des paroles rassurantes à mon oreille alors que je ne fais que boire pour m'éloigner de la réalité déchirante. Quand la dernière bouteille est vide, je ressens tellement de colère que je l'empoigne et l'explose sur les marches. Voir les morceaux de verre joncher le sol m'arrache un sourire alors je fais de même avec les autres bouteilles. Ma tête me tourne et je bégaye :

"Il embrassait ce mec, il était collé à lui comme si lui seul existait, il ne m'a même pas vu."

Je n'écoute pas la réponse de Shaïma, ce n'est pas vraiment à elle que je parlais à vrai dire. Mes yeux fixent le verre brisé comme une relique, le symbole de la souffrance qu'il me fait subir. Ma vision se trouble de nouveau à cause des larmes mais Shaïma me prend la main et me force à me relever.

"Bon, on rentre chez moi."

Toxic and friends [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant