Je suis venue un peu plus tôt à l'Association ce matin. Rafael devait passer chez ses parents pour prendre Santiago avant de venir. Je me demande si Rafael sera de bonne humeur en revenant, après tout, la dernière discussion qu'il y a eu entre ses parents et lui s'est mal terminée. Mais d'après c'est dire c'est souvent comme ça, ils se disputent et se parlent à nouveau comme si de rien était. Je n'y connais rien en affaires de famille, sur ce point-là, je n'ai jamais eu de soucis. Je termine mon café et regarde les enfants arriver un à un en nous saluant. Jules est assis à côté de moi, il me parle des fêtes qui approchent et du fait qu'il doit trouver un énième cadeau pour sa sœur. Lucrecia nous rejoint et n'écoute notre conversation que d'une oreille. Quelques minutes plus tard, la porte d'entrée s'ouvre, Rafael apparaît, accompagné de son petit frère qui nous salue rapidement pour retrouver ses amis autour des jeux. Je fais un pas sur la droite, pour m'éloigner instinctivement de Jules. Mais mon petit ami qui aurait habituellement complètement ignoré la situation en ne s'intéressant qu'à Lucrecia s'est approché de moi. Il m'a pris par les épaules et m'a embrassé si tendrement que je me suis vue essayer de lui rappeler que des enfants étaient présents.
— Je finis à 17h, on se retrouve à la maison ? Demande-t-il sachant bien évidemment que la réponse sera positive.
Je hoche la tête et le regarde s'éloigner, un sourire triomphant aux lèvres. Je tourne la tête vers Lucrecia, qui se retient d'éclater de rire. Puis vers Jules qui hausse les sourcils.
— Je vois que mon cadeau à eu un certain effet sur Monsieur Sanchez, s'exclame-t-il.
— Il est ... Commençais-je.
Jules me regarde, presque désolé.
— Je savais plus où moins qu'il se passait quelque chose entre vous, je ne pensais juste pas que c'était sérieux au point de déjà avoir une maison dans laquelle vous retrouver.
Lucrecia nous regarde, tous les deux incrédules. C'est vrai que pour certains, emménager après quelques mois peut sembler très rapide. Mais je ne me suis jamais sentie plus chez moi qu'avec Rafael, et je sais que j'avais besoin d'être avec lui, peu importe où il serait.
— Je ne suis pas le mec idéal, et je ne dis pas que j'aurais fait un meilleur choix que lui. Mais Ruby, réfléchie bien avant de faire une erreur.
— Une erreur ? Relevais-je, qu'est-ce que tu veux dire ?
Jules hausse les épaules.
— On connaît les... gars comme ça, dit-il pour éviter de prononcer le nom d'un gang devant les enfants, ils vivent quelque chose de tellement barré qu'ils ne trouvent jamais une nana adéquate. Alors la première fille qui accepte de se lancer dans une relation perdue d'avance, ils l'épousent pour la garder. Un serment prononcé devant Dieu que les gens ont du mal à briser.
Je ne sais pas à quoi Jules joue mais je trouve sa remarque plus que déplacer.
— Sache, Jules, intervient Lucrecia, que tu viens de dire la chose la plus idiote qu'il ne t'a jamais été donné de sortir. Et pourtant, tu tiens un sacré palmarès.
Elle tente de rester professionnelle et de ne pas s'emporter, mais je peux voir à la contraction de sa mâchoire que c'est assez difficile.
— Si Rafael s'est lancé dans quelque chose avec Ruby, c'est précisément parce qu'elle n'était pas la première nana adéquate qui passait par là et qui a accepté qui il était. C'est parce qu'il est sincèrement amoureux d'elle, en dépit de tout le reste. Tu le comprendras le jour où ça t'arrivera. En attendant, j'ai créé cette association pour se soutenir les uns les autres, en dépit de ton nom, ton passé, ta classe sociale et tout ce qui ne dépend pas directement de toi. Parce que tout le monde doit avoir sa chance, alors je te demanderais de garder tes jugements de valeurs pour toi.
Elle l'a mouché, à tel point qu'il n'ose plus dire un mot.
— Je vais aller m'occuper du sport, dit-il contrarié.
Jules ne sait certainement pas qu'avant d'être la femme de Bruce, Lucrecia était elle aussi une fille à Scorpion. Et malgré le fait qu'elle ait tourné la page sur cette partie de sa vie, il n'en est pas moins que cette période en reste une part importante de qui elle est et qu'elle le restera toujours.
Lucrecia part ce soir, et nous nous sommes promis de faire quelques emplettes avant Noël. Elle m'a embarqué dans ses boutiques préférées et a insisté pour que je fasse le tour de chacune d'entre elles pour être certaine que je ne loupe rien.
— Tu n'avais pas fini les cadeaux ? Demandais-je en voyant les trois sacs à ses bras.
— Si mais les parents de Bruce sont des gens très généreux, ils nous offrent toujours des milliers de cadeaux et je me sens ridicule de n'avoir qu'un ou deux paquets pour eux.
Je lui précise qu'elle a l'excuse de fêter son mariage en même temps que Noël et ça mérite plus de cadeaux.
— Je ne sais plus quoi leurs offrir désormais, avoue-t-elle, ce sont des personnes qui ont déjà tout !
Elle me montre le sac dans lequel se trouve un foulard hors de prix et des boutons de manchette d'une marque luxueuse dont je n'aurais jamais les moyens de m'offrir une chaussette.
— Offre leurs des choses personnelles, des photos par exemple...
Lucrecia soupire.
— Je sais très bien ce qu'ils rêvent que je leur offre... Des petits-enfants.
Elle explique que Bruce n'est pourtant pas fils unique et qu'ils devraient se satisfaire des enfants que sa sœur à, mais non, ils ne cessent de les bassiner avec un bébé.
— Ils savent que tu n'en as pas envie ?
Lucrecia hoche la tête.
— Ils sont d'une autre génération, certains n'arrivent pas encore à comprendre qu'au 21e siècle une femme ne puisse pas ressentir le besoin d'être mère.
Elle précise que c'est l'une des premières choses dont elle a parlé à Bruce lorsqu'ils se sont mis ensemble officiellement. Elle ne voulait pas se lancer dans une relation s'ils avaient des rêves de vie complètement opposés. Après une relation aussi intense et mouvementée que celle qu'elle a eu avec Enrique, elle voulait uniquement quelque chose de simple et de stable.
— Il m'a avoué n'avoir jamais vraiment été attiré par le fait de fonder une famille, il ne pensait même pas se marier avant de me rencontrer d'ailleurs, dit-elle amusée, son travail était son seul et unique amour.
— Mais une jolie Latina est entrée dans sa vie et il n'a pas pu résister, ajoutais-je.
Elle pointe son doigt sur moi et confirme mes dires.
Le tour des magasins terminés, nous nous asseyons à une table de café toutes les deux. J'ai moi-même fini par acheter quelques bricoles en plus des cadeaux que j'avais déjà faits. Ils auront tous leurs cadeaux : Rafael, Lucrecia, Santiago, Marissa, Monsieur et Madame Fuentes et même Javier.
— Lucrecia, commençais-je.
Cette dernière relève la tête et souffle sur la tasse de café bouillante.
— Est-ce que parfois tu penses à ce que t'as vie aurait ressemblé si tu avais épousé Enrique ?
Elle sourit et pose sa tasse.
— Tous les jours, confie-t-elle.
Je la regarde, intriguée.
— Chaque fois que j'entre dans cette immense maison qui n'est pas vraiment la mienne, chaque fois que je plis les chemises parfaitement propres et sans aucun troue de Bruce, chaque fois que je regarde ces photos devant l'autel, le bonheur éclairant mon visage.
— Et qu'est-ce que tu te dis ?
Elle se mordille les lèvres.
— Parfois j'ai l'impression de faire semblant. J'ai l'impression d'avoir tellement voulu m'éloigner des Scorpions que je suis devenue quelqu'un d'autre, l'opposée de la Lucrecia que j'étais avant.
Elle mentionne à quel point c'était une tête brûlée qui ne se laissait jamais marcher dessus avant, elle passait son temps à défendre les gens, les causes. Elle rêvait de justice et aurait tout fait pour y arriver.
— L'ancienne Lucrecia aurait très certainement insulté Jules tout à l'heure, dit-elle en riant.
— Elle te manque ? Cette Lucrecia là ?
Elle penche la tête sur le côté.
— Parfois oui. Parce qu'elle n'avait peur de rien. Mais celle que je suis aujourd'hui est sincèrement heureuse, et je ne l'échangerais pour rien au monde.
Elle reprend :
— Enrique me manque, chaque jour.
Je perçois un brin de tristesse dans sa voix.
— Pas uniquement depuis qu'il est mort, bien avant même. Quand on s'est séparé, c'était le moment le plus déchirant de ma vie. Je passais des nuits à pleurer, encore et encore. Il était mon âme-sœur, l'autre partie de moi, comment j'étais supposé vivre sans lui ? J'étais destinée à être à moitié vide pour le restant de ma vie.
— Tu as pensé à revenir vers lui ?
Elle hoche automatiquement la tête, sans aucune hésitation.
— Je n'arrêtais pas de me répéter que je réagissais peut-être trop, qu'après tout j'avais choisi cette vie et que je m'attendais aux conséquences.
— Qu'est-ce qui t'as empêché d'y retourner ? Demandais-je curieuse.
Elle prend une longue inspiration.
— Ma mère. Ma mère est incroyable, c'est une femme indépendante qui ne s'est jamais laissé marcher dessus. Et je crois que c'est pour ça aujourd'hui, que Carmen et moi avons autant de caractère. Elle m'a toujours enseigné à ne pas me laisser faire, à vivre pour moi avant de le faire pour les autres. Et surtout, à viser le bonheur, quoi qu'il arrive.
— Tu n'étais pas heureuse avec Enrique ?
Elle hausse les épaules.
— Je l'ai été, un moment. Quand nous n'étions que nous, deux enfants qui avaient la vie devant eux, deux amoureux qui pensaient sincèrement qu'ils n'avaient besoin de rien de plus que de s'aimer. Mais l'amour n'a pas suffi.
Je suis troublé par cette histoire et je n'en connais pourtant qu'une infime partie.
— J'ai rencontré Bruce par le biais d'une amie. Il était l'opposé d'Enrique : plus vieux, plus sage, très bien habillé, aucune tatouage...
Elle sourit.
— Je l'ai trouvé inintéressant et pas très beau au début, avoue-t-elle, Enrique et moi étions séparés depuis un an et demi et j'étais certaine que je ne tomberais plus jamais amoureuse.
Elle souffle qu'elle ressentait toujours ce petit pincement au fond du cœur chaque fois qu'elle croisait Enrique, et lui, espérait toujours qu'elle reviendrait.
— Mais il est tombé amoureux de moi à la minute où nous avons commencé à discuter, certain que j'étais la femme de sa vie. Il a essayé de me séduire avec des restaurants hors de prix, des expositions d'artistes dont je n'arrivais pas à prononcer le nom et des cadeaux plus coûteux que tout ce que j'aurais pu m'acheter dans une vie.
— Mais ça n'a pas fonctionné ?
Elle secoue la tête.
— Pas le moins du monde.
Je fronce les sourcils.
— Alors comment est-ce que tu es tombé amoureuse de lui ?
Elle lève les yeux et sourit en pensant à ce souvenir plaisant.
— Il est passé chez moi un soir. C'était sa dernière chance. Nous sommes montés dans sa voiture et nous avons roulé quelques kilomètres. Puis, la voiture a commencé à faire un drôle de bruit. Il s'est garé sur le bord de la route, il faisait nuit. En panne. Malheureusement mon portable était HS et le sien était resté chez lui. J'ai trouvé la situation terriblement amusante. Nous sommes restés sur le bord de la route, dans la nuit, éclairés des lumières de la ville et des voitures qui passaient sans prendre le temps de s'arrêter. Il s'est excusé mille fois, certain que ce rencard serait bel et bien le dernier. Il s'est glissé sous la voiture, dans l'espoir de voir ce qui clochait, bien qu'il n'ait aucune lumière, et aucune connaissance en mécanique. Il en est ressorti complètement sale, sans solution. Alors j'ai ri. J'ai ris parce que c'était une situation vraiment stupide. Et ça l'a fait rire aussi. Ensuite, nous nous sommes allongés sur le capot de sa voiture, tous les deux. Et nous avons attendu. On est d'abord resté silencieux et puis il a fini par parler. Il me racontait des anecdotes d'enfance et je riais, encore et encore. Et plus je riais plus il me parlait. Et c'était ça, c'était exactement ce que je voulais. Pas de chemise hors de prix, pas de restaurants gastronomiques, pas de galeries ennuyeuses, je voulais rire, je voulais me sentir légère, discuter et n'avoir rien d'autre à me soucier. Je n'avais pas ri comme ça depuis des semaines, des mois, peut-être plus. Et j'ai réalisé que si j'arrivais à rire à nouveau, peut-être que j'arriverais à aimer à nouveau aussi.
Elle me montre ensuite une photo, un bouquet de fleurs sauvage dans un vase.
— Il les a cueillis au bord de la route où nous étions en panne, c'est le premier cadeau de lui qui m'a vraiment touché.
Je décide de rester sur cette touche positive et lance à mon amie que son mari va finir par l'attendre si nous tardons trop.
Mes clés glissent deux fois de mes mains avant que je n'arrive à les rentrer dans la serrure, quelque chose m'interpelle, des bruits venant de l'intérieur de mon appartement. Je fais un pas en arrière, pensant immédiatement à cette intrusion chez Rafael quelques semaines plus tôt. Et si c'était eux, Los Tiburones, à nouveau. Je m'empare de mon portable et appelle Rafael qui décroche aussitôt.
— Où est-ce que tu es ? Dit-il immédiatement.
J'entends des voix autour de lui, plusieurs voix d'homme.
— Devant la porte, il y a des gens chez nous, dis-je un peu paniquée.
Rafael ne dit pas un mot de plus, la porte s'ouvre sur mon petit ami, le téléphone encore à l'oreille.
— Viens, dit-il d'une voix douce.
Je le suis de prêt et tombe sur un petit rassemblement. Il doit y avoir sept personnes tout au plus, et au milieu de celles-ci, le visage angélique de Javier qui me rassure. C'est une réunion de Scorpion, mais ils semblent bien moins nombreux que d'habitude.
— Je vous présente Ruby, lance Rafael en passant à côté de moi.
14 paires d'yeux sont rivées sur moi et bien que je sois dans mon appartement, je me sens tout d'un coup de trop. Heureusement Javier prend la parole et détend tout de suite l'atmosphère.
— Désolé pour les toilettes, je suis un peu malade.
Je regarde Rafael, intrigué, qui me répond qu'il s'en occupera. Un homme plus âgé que les autres, me scrute. Je l'ai déjà vu, une fois. Il s'agit de l'oncle de Rafael. C'est le portrait craché de son père, c'en est presque troublant.
— Alors c'est toi l'élue du cœur de notre cher El Dorado, dit-il un sourire sympathique aux lèvres.
Je hoche la tête, bien trop timide pour dire quoi que ce soit.
— Enchanté joli cœur, dit-il à nouveau.
Je déteste ce genre de surnoms que les hommes ont tendance à affubler les femmes. Mais par politesse, je ne dirais rien, au moins pour ce soir.
— Enchantée également.
Tout d'un coup, cette scène me ramène à une réalité que j'essaie pourtant de voir chaque jour. Ces 7 hommes, au milieu de mon salon, tous probablement armés, avec autant de sang sur les mains que je n'en aurais jamais. Ils ne sont pas là pour regarder un match, ni pour simplement taper la causette, non, ils sont là pour parler de choses sérieuses et dont je n'ai pas la moindre envie d'entendre parler.
— Je vais prendre une douche, lançais-je en quittant le salon.
Je ferme la porte de la salle de bain derrière moi et me défait de mes vêtements. J'enroule une serviette propre autour de moi et attache mes cheveux avant de commencer à me démaquiller. La poignée de la porte se baisse, mais j'ai fermé à clé.
— Ruby, ouvre s'il-te-plaît.
Je tourne la clé et laisse Rafael entrer. Sans quitter mon reflet dans le miroir, je lui demande si tout va bien.
— C'est à toi que je pose la question, dit-il en se postant derrière moi.
Je lui assure que je n'ai aucun souci.
— Je suis désolé pour les Scorpions, je ne t'ai pas prévenu.
C'est vrai qu'il aurait peut-être pu m'envoyer un message.
— Ça s'est fait à la dernière minute, il y a encore quelques problèmes avec...
Il se coupe.
— Enfin bon, ils seront partis en moins d'une heure.
Je lui souris et lui répond que ce n'est pas un problème.
— Fais toi couler un bain, peut-être qu'avec un peu de chance ils seront partis plus tôt que prévu et que je te rejoindrais.
Il m'embrasse la nuque et le haut des épaules, tirant mes hanches contre lui.
— Une heure ? Dis-je un peu déçue, c'est long une heure.
Je fais maladroitement tomber ma serviette et me retrouve nue contre mon petit ami, face au miroir. Il sourit en regardant mon reflet et glisse ses mains sur mes seins en m'embrassant à nouveau la nuque.
— Je peux négocier pour quarante-cinq minutes.
Je me cambre légèrement et me frotte contre lui. Il sourit et son excitation se met à gonfler.
— Quarante-cinq minutes ? Répétais-je.
Il me sert plus fort contre lui et me retourne pour m'embrasser, sa main caressant chaque partie de mon corps.
— 30 minutes, 30 minuscules minutes, dit-il contre ma bouche.
Je cède et accepte.
— Je t'attendrais dans cette baignoire trente minutes, pas une de plus.
Rafael se détache de moi et s'humecte les lèvres. Il s'apprête à sortir mais je l'arrête.
— Sors ta chemise de ton pantalon, lui dis-je.
Il ne comprend pas pourquoi je lui dis ça, alors je lui montre la forme de son entre-jambe trop moulé.
— Merde.
Il sort la chemise et essaie tant bien que mal de cacher l'effet que je lui fais.
— Laisse tomber, je vais vite me calmer quand je vais le retrouver tous les 7, assure-t-il.
Je lui vole un dernier baiser.
— À dans 30 minutes.
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Dusk 'till Dawn
RomanceRuby n'imaginait pas une seconde qu'en quittant San Francisco pour s'installer à San Diego, sa vie allait basculer. Tout semblait pourtant ordinaire : une chambre chez un couple de retraités, un petit boulot dans une boutique, quelques heures de sou...
