Je n'avais pas passé une journée comme celle-ci depuis longtemps. Marissa m'a trainé dans pas moins de sept boutiques différentes. J'avais oublié à quel point le shopping pouvait être une thérapie incroyable. Elle m'a ensuite supplié d'aller boire un chocolat dans ce qu'elle considère être le meilleur café de la planète entière. Avant de finalement m'annoncer qu'elle avait réussi à joindre quelques personnes et trouver une soirée où aller ce soir.
— Juste un petit détail, dit-elle en grimaçant.
Je lui demande d'aller au but.
— C'est chez William.
J'écarquille les yeux et me retient de l'insulter.
— Est-ce qu'il t'a payé où quelque chose comme ça ? Pourquoi est-ce que tu fais toujours en sorte qu'on se retrouve tous les deux ?
Elle me demande de me calmer et m'assure qu'elle n'est pas si facile que ça à acheter de toute façon.
— Il a une copine maintenant, dit-elle en pensant que je serais rassurée.
— Ce qui rend cette situation encore plus bizarre, qu'est-ce qu'elle pensera en voyant l'ex de son copain arriver.
Marissa termine son chocolat et marmonne :
— Elle n'en pensera rien, puisqu'elle ne sera pas là. William m'a dit qu'elle était absente pour le week-end.
Je prends ma tête entre mes mains et lui donne une dernière chance de réaliser à quel point cette idée est mauvaise.
— William est passé à autre chose ! Dit-elle en agitant ses mains, vous pouvez passer une soirée ensemble sans qu'il n'y ait de problème désormais.
Je soupire bruyamment.
— Et puis il y aura Justin et Freya, et quelques autres personnes. Tu n'auras pas besoin de discuter avec lui si c'est ça qui t'angoisse.
Je lui rappelle que nous serons chez lui.
— Oh oui, d'ailleurs tu verras son nouveau loft est incroyable !
Elle remarque que je ne partage pas son enthousiasme et prend ma main en me lançant un petit regard attristé.
— Oh aller, je pensais que l'ancienne Ruby était revenue !
Je me mords l'intérieur de la joue. Après tout, elle a raison. Aujourd'hui, j'ai passé une bonne journée. Pour la première fois je n'ai pas pensé une seule fois à Rafael et ça m'a vraiment fait du bien. Je peux bien faire ça pour elle, après tout elle a dû supporter mon état de zombie pendant une semaine.
— C'est d'accord, soufflais-je.
Marissa m'offre son plus beau sourire et me remercie trois fois d'affilée.
Marissa a de plus petits pieds que moi, je n'aurais jamais dû lui emprunter ces chaussures. Mais je n'ai pris que des baskets et mon amie ayant insisté pour que je mette des talons je n'avais pas d'autres choix.
— Est-ce qu'il y a de la moquette ? J'enlève ces fichus chaussures à la seconde où on aura passé cette porte.
Je me maudis de ne pas avoir pensé à faire mes ongles de pieds, je vais devoir cacher mes orteils toute la soirée.
La porte s'ouvre sur un visage que je connais trop bien, celui de William. Malgré notre dernière conversation, il ne semble pas en colère après moi. Au contraire, il me complimente même sur le fait que j'ai l'air radieuse. Ce qui n'est qu'une marque de politesse étant donné les derniers évènements.
Marissa me donne un coup de coude et souffle que tout va bien. Nous pénétrons dans l'immense loft de William, et je dois dire que Marissa n'a pas menti. À son image, l'endroit est grand, beau et très chic. Je n'en attendais pas moins de lui.
— J'ai invité quelques amis, dit-il en désignant le salon.
Nous nous retrouvons au milieu de quatre inconnus et deux visages familiers : Justin et Freya qui sont tous les deux ravie de nous voir.
— Dieu merci vous êtes là, souffle mon amie, les amis de William sont tous des crâneurs bourrés de fric.
Justin lui fait signe de parler moins fort, l'un des crâneurs bourré de fric l'a entendu et lui a lancé un regard de travers.
— Quoi ? C'est vrai. Ils n'utilisent que des mots en trois syllabes minimum et je jure avoir vue l'un d'entre eux lever le petits doigts en buvant son verre ! Dit-elle dépassée.
Marissa lui a répondu qu'elle dramatisait.
— Je n'aime pas juger un livre à sa couverture mais je crois malheureusement que Freya a raison. Les nouveaux amis de William semblent bel et bien être d'un tout autre monde que nous.
— Vous savez ce que ça signifie ? Demande Justin.
Nous le regardons toutes les trois sans savoir quoi répondre.
— Concours de shot, chuchota-t-il.
Le concours de shot est quelque chose que nous avons mis en place tous ensemble pour pimenter un peu nos soirées. Nous devions boire de tout, uniquement en petite quantité et cul sec. Il fallait boire le plus possible en étant le moins bourré, celui qui gagnait était le dernier à tenir en ayant le plus de verre au compteur. C'est un jeux stupide, qui n'avait pour effet que nous faire boire à outrance et nous coucher tous avant deux heures du matin. Sans compter ceux qui vomissaient après le cinquième shot. Mais dans ce genre de situation, où la nuit risque d'être longue, c'était l'occasion idéale pour remettre ce jeu au goût du jour.
Freya se lança en première, suivie de Marissa, Justin et moi. Nous devions faire ça discrètement, si William grillait notre petit jeu il se vexerait, d'autant plus qu'il n'aimerait pas qu'on lui fasse honte devant ses supers amis. Alors nous passions chacun notre tour dans la cuisine, où alors nous nous rejoignions dans le couloir par paire pour s'enfiler des verres. Les effets ont commencé au bout d'une trentaine de minute, c'est Marissa qui a commencé à rire sans raison. Elle trouvait le principe du mot « redondant » extrêmement drôle. Ce qui lui a valu un regard noir d'une des filles qui venait de le prononcer. Justin a toujours mieux tenu l'alcool que nous, et il était toujours dans les finalistes à ce jeux, mais ce soir Freya semble vouloir prendre la place de vainqueur. Elle se tient parfaitement droite et essaie de tenir une conversation avec Natasha, la voisine de palier de William qui est visiblement aussi heureuse que nous de cette petite sauterie. Freya est époustouflante, elle sait tenir la conversation et à même réussi à s'enfiler un verre sous le nez de la jolie voisine sans grimacer. Je m'approche d'elle et m'excuse auprès de son interlocutrice.
— T'as deux verres d'avance sur Justin, comment tu fais pour tenir le coup ?
Freya secoue la tête.
— Oh, je ne tiens pas le coup, je suis complètement déchirée là.
Je me retiens d'éclater de rire en entendant sa voix vaciller légèrement.
— J'utilise la technique que je prenais avec mes parents quand je devais cacher que j'étais bourrée : hocher la tête, pincer les lèvres et froncer les sourcils en écoutant très sérieusement la conversation. Et tu veux savoir mon petit secret ? N'utiliser que des mots qui finissent en -ment, comme certainement, absolument, jument...
Elle rit au dernier mot.
— Justin n'y voit que du feu, tiens encore une heure comme ça et tu gagneras haut la main !
Je lève mon bras pour qu'elle me high five mais elle clôt ses paupières en guise de réponse.
— Trop bourrée pour faire un geste aussi précis.
Je m'éloigne d'elle et rejoins Marissa qui elle, s'est fait griller par William qui lui lance ce regard rempli de jugement.
— Rabat-joie, dit-elle en levant les yeux, oh Ruby ! T'en est à ton combien de verre ?
Je compte sur mes doigts.
— Quatre !
Marissa grimace et me répond que je vais perdre. Mais la vérité c'est que je ne me sens pas de boire ce soir, je crois que je vais passer une bonne partie de la nuit à tenir les cheveux au dessus de la cuvette pour mes trois amis.
— Attends, Freya vient de vider son verre dans la plante ! Gronde Marissa en s'éloignant.
Je m'accoude au bar en chêne de William, ce truc doit valoir plus que ma voiture. J'y pose mon portable que je branche à la prise murale, je vérifie pour la centième fois que je n'ai pas d'appel manqué, mais rien, rien du tout. Je ne sais même pas ce que je dirais à Rafael s'il m'appelait, mais j'aimerais qu'il le fasse. J'espère qu'en entendant sa voix, les choses redeviendront comme avant, que je n'aurais plus ces questions qui tournent inlassablement dans ma tête et qu'il lui suffira de me demander de revenir pour que je le fasse. Je m'éloigne du bar et longe le couloir à la recherche d'une salle de bain, il doit bien y en avoir deux ou trois. Avec un peu de chance, en ouvrant toutes les portes je tomberais sur l'une d'elle.
— Au fond du couloir, souffle William à quelques pas derrière moi.
Je me tourne et le remercie, il me suit jusqu'à celle-ci et pousse la porte avant de m'y voir entrer.
— Tout va bien ? Dit-il en restant sur le pas de celle-ci.
Je me regarde dans le miroir, je n'ai pas bu autant que les autres, ça devrait aller.
— Désolée de jouer au concours de shot, dis-je sans quitter mon propre reflet.
Il fait un pas en avant et entre dans la pièce, sa silhouette me rejoint à côté du miroir. Je détache mes yeux de celui-ci et les pose sur mon hôte.
— Je ne parlais pas de l'alcool.
Sa voix est rassurante, elle l'a toujours été. William est de ces personnes avec un sang-froid inégalable, il pourrait y avoir un tremblement de terre il réussirait rassurer une pièce remplie de gens paniqués en lançant un simple « Tout va bien ».
— Je ne sais pas trop.
Il s'adosse alors au mur et me regarde toujours, il semble être un peu agacé ou peut-être juste fatigué, je ne sais pas.
— Qu'est-ce qu'il t'a fait ?
Je sens la colère monter instantanément. Bien sûre que William juge Rafael, c'est là son pire défaut : se croire mieux que tout le monde.
— Pourquoi est-ce que tu penses immédiatement que Rafael m'a fait quelque chose ?
Il me regarde de haut en bas, puis hausse les épaules.
— T'es là, à San Francisco, sans lui, chez moi, à boire sans vraiment passer un bon moment.
Je reste silencieuse et détourne les yeux.
— C'est bien ce que je pensais.
Je serre la mâchoire et me tourne à nouveau en face de William.
— Tu n'es pas mieux que lui tu sais ?
Il ne semble pas secoué par ce que je viens de dire, et pourtant, pour quelqu'un comme William être comparé à Rafael, c'est une grave insulte.
— Il n'a rien à t'envier du tout d'ailleurs, ajoutais-je pour le faire réagir.
Je ne veux pas qu'il pense du mal de Rafael, ça m'énerve, alors je veux qu'il soit énervé comme je le suis actuellement.
— Tu as raison. J'ai une belle maison, les études, une immense carrière devant moi, une famille géniale, une copine très intelligente et très jolie, un patrimoine familial gigantesque, un passeport rempli... Mais lui, il t'a toi.
Je déglutis face à cette dernière remarque.
— Il a ce que je n'ai jamais eu : ton intérêt entier, ton amour, ta dévotion. Et j'admets que ça fait mal à mon ego.
Je me sens un peu mal à l'aise, je n'aurais pas dû m'aventurer sur ce terrain.
— Mais tu as tort, j'ai quelque chose qu'il n'a pas : Je réalise la valeur des choses que j'aime. Je sais que j'ai de la chance d'avoir grandi dans un milieu si aisé, et je sais que rien n'est jamais acquis, ni la vie, ni les biens, ni les gens. Ce qui ne semble pas être le cas de ton Rafael.
Je croise les bras et lui répond qu'il ne sait pas de quoi il parle.
— Peut-être, oui. Mais regarde Ruby, regarde la vie que tu aurais pu avoir, avec moi, ici. Et regarde celle que tu as choisis.
Je baisse la tête et prends une longue inspiration.
— Je suis heureuse de la vie que je mène, William.
Je le regarde désormais droit dans les yeux, certaine de ce que j'affirme.
— Et si on te donnait la possibilité de revenir en arrière ? De rester ici à San Francisco, de continuer tes études, de rester avec Marissa ?
William m'avait proposé de m'aider à payer mes études, il savait très bien que je refuserais qu'il me donne de l'argent, alors il avait négocié un prêt sur long terme. Mais j'ai refusé, je savais que notre relation ne serait pas longue et je ne voulais absolument pas compliquer les choses avec une histoire d'argent. J'avais parfois l'impression que cette générosité était une façon cachée de se dire qu'il me tenait d'une façon où d'une autre. Mais ce qu'il vient de dire résonne quelque peu dans mon esprit. Si je n'avais pas tout quitté, si j'étais restée ici, avec mes amis. Si je n'avais jamais rencontré Rafael, tout serait si simple, pour lui comme pour moi.
— Je suis heureuse, répétais-je à nouveau.
William n'insiste pas plus longtemps et me laisse dans la salle de bain. Je me regarde à nouveau, des frissons me parcourent, je ferais mieux de retourner auprès de mes amis.
VOUS LISEZ
Dusk 'till Dawn
RomanceRuby n'imaginait pas une seconde qu'en quittant San Francisco pour s'installer à San Diego, sa vie allait basculer. Tout semblait pourtant ordinaire : une chambre chez un couple de retraités, un petit boulot dans une boutique, quelques heures de sou...
