Quelques secondes passèrent, secondes durant lesquelles je me demandais si je rêvais où s'il était bien là. Mais il l'est. Il est là, devant moi, portant le regard le plus triste que je n'ai jamais vu. Et je dois me faire violence pour ne pas me jeter dans ses bras. Neuf jours sont passés, neuf. Et j'ai pourtant l'impression que c'était une éternité. Je suis restée silencieuse et l'ai seulement laissé passer. Ses cheveux sont en bataille, presque emmêlés. Lorsqu'il pose son sac et qu'il se tourne, je remarque qu'en plus de la tristesse, la fatigue se lit sur tout son visage. Depuis combien de temps n'a-t-il pas dormis ?
— Tu veux quelques chose à boire ?
Il s'apprête à refuser mais la soif semble l'emporter sur sa fierté. Je fonce jusqu'au réfrigérateur et lui sert un verre d'eau fraîche. Il est debout, contre la table, il ne me regarde pas.
— Assieds-toi, proposais-je.
Il secoue la tête.
— Marissa n'est pas là ?
Je réponds qu'elle est partie chez le médecin. La pièce tombe à nouveau dans le silence.
— Ecoute, lançons-nous en même temps.
Il s'arrête et me laisse parler.
— Il ne s'est rien passé entre William et moi.
Rafael lève les sourcils et ne me regarde même pas.
— Je sais, souffle-t-il.
Un soupir de soulagement m'échappe.
— Tu crois que j'aurais pris la peine de venir jusqu'ici si je pensais que tu m'avais trompé ?
Ce qui signifie qu'on est d'accord sur au moins un point : on est encore ensemble.
— Non, mais je ne sais pas, il a décroché et...
Je ne sais pas comment terminer ma phrase.
— Et il vaudrait mieux pour lui que je ne le croise pas durant mon séjour ici.
Il resserre le bord de la table.
— Mais ce qu'il a dit, c'était vrai ?
Je cherche rapidement la phrase exacte qu'il a prononcé.
— Sur San Diego ?
Il lève ses yeux vides vers moi, attendant ma réponse, celle que je ne lui donne pas, puis il laisse échapper un rire nerveux.
— Je suis venu ici pour cette réponse uniquement, avoue-t-il, je voulais que tu me balance qu'il disait n'importe quoi et que bien évidemment tu reviendrais.
Sa voix laisse échapper une toute nouvelle émotion, une émotion qui me brise le cœur.
— Mais je crois qu'une partie de moi savait que tu allais finalement dire ça, parce que je voulais te voir, te l'entendre dire, je ne voulais pas que tu le fasses au téléphone.
Mes yeux s'embuent, mais je les détourne pour garder mon calme.
— Te dire quoi ?
Il se pince les lèvres et déglutit.
— Que tu me quittes.
Je croise les bras sur ma poitrine pour empêcher mon corps de se jeter littéralement sur lui.
— Rafael, je ...
Il croise les bras aussi, et j'aime me dire que c'est pour la même raison.
— Tu n'y a pas pensé ? C'est ça que tu vas me dire ?
J'ouvre la bouche puis la referme.
— Je te remercie de ne pas me mentir, c'est déjà ça.
Je comprends qu'on est dans une mauvaise passe tous les deux, mais il doit réaliser que je me sens aussi mal que lui à l'instant présent et que si je pouvais juste passer à autre chose et redevenir ceux que nous étions avant je le ferais.
— Je ne peux pas te répondre parce que je ne sais pas.
Il tourne la tête.
— Je suis complètement perdue entre l'amour que je te porte et ce que je peux endurer.
Il hoche la tête.
— Je ne peux pas t'en vouloir, San Francisco c'était ta vie d'avant, tes amis, tes souvenirs. Rien à voir avec ce qu'on avait à San Diego.
Je sais qu'il est mal et qu'il souffre mais sa colère lui fait dire des choses stupides.
— Arrête de jouer à ça, tu sais très bien que ça n'a rien à voir !
Il se mord l'intérieur de la joue, je ne bouge pas d'un centimètre.
— Je t'avais prévenu Ruby, t'as pas écouté, on aurait pu s'éviter beaucoup de mal si tu m'avais écouté, dit-il de la voix la plus calme possible.
J'explose littéralement, il ne peut pas mettre ça sur moi, il ne peut pas me reprocher de douter, avec tout ce qu'il s'est passé ces dernières semaines.
— T'as tué quelqu'un Rafael ! Devant moi ! Criais-je. Ne fais pas comme si j'étais partie à la première occasion, j'aurais pu endurer un tas de chose, mais merde, on parle d'un putain de meurtre là !
Je devrais peut-être baisser d'un ton en disant ce genre de choses en appartement.
— Je l'ai fait parce qu'il le méritait ! Crie-t-il aussi fort.
Je secoue la tête en serrant la mâchoire.
— Mais pas moi, je ne méritais pas de voir ça, je ne méritais pas d'être traînée dans cette histoire.
Je n'arriverais plus jamais à oublier ce moment de toute ma vie, et j'en veux à Rafael d'avoir choisi de me le faire subir.
— Tu es dans cette histoire depuis le jour où tu as décidé de tombé amoureuse de moi je te signale.
Je presse mes paupières et lève l'index pour le contredire.
— Oh non, tu m'as assez dit que tu me laissais loin de toutes ces histoires. Tu me l'a répété encore et encore, c'est exactement pour cette raison que tu refuse de te marier un jour je te rappel alors tu n'as pas le droit de revenir sur ça !
Rafael tourne sur lui-même et repousse ses cheveux en arrière, il fait un pas en avant vers moi, sa respiration est saccadée, il est à bout de nerf.
— Il a tué mon meilleur ami Ruby, il a tué Javier. Il me l'a arraché, pour toujours.
Sa mâchoire tremble, je baisse les yeux.
— Est-ce que tu te sens mieux ? Finis-je par demander.
Ma question est sincère.
— Est-ce que je me sens mieux que cet enfoiré ne respire plus ? Oui, carrément. Et je suis désolé si ça te déçoit.
Je ne dis rien et relève les yeux vers mon petit ami, il regarde dans le vide.
— Mais Javier n'est pas revenu, dit-il d'un air complètement détaché, et ça, ça me laisse un putain de vide qui ne sera jamais comblé. Ni par la colère, ni par la tristesse, ni par la vengeance.
Je fais un pas en avant et resserre à nouveau mes bras pour ne pas les tendre vers lui.
— J'ai merdé Ruby, je le sais.
Il s'humecte les lèvres, toujours sans me regarder.
— J'aurais dû réfléchir, j'aurais dû me contenir, j'aurais dû...
Il soupire et me regarde dans les yeux.
— Mais je ne le regrette pas une seconde, et si c'était à refaire je le referais.
J'avale ma salive, soutenant son regard sombre.
— Il l'aurait fait pour moi.
Il s'étrangle presque en prononçant ces mots, puis, il joint ses mains et se lèche à nouveau les lèvres.
— Et si ça doit me coûter notre relation, très bien, je le comprendrais, je te comprendrais. Je ne t'ai jamais obligé à rien. Mais je sais qu'une partie de toi me comprend, et même si elle est infime, je sais que cette partie de toi aurait voulu faire pareil si à la place de Javier ça avait été moi.
Je refuse de penser qu'il a raison, mais je sais que c'est le cas.
— Alors je ne te demande pas de me pardonner, mais de me comprendre.
Il ne s'arrête pas dans son récit.
— Quand ce connard a répondu au téléphone, je suis passé par tout un tas d'émotions. Je venais de passer des nuits blanches entières, je ne me souvenais même pas de la dernière fois que j'avais mangé, ni même de la dernière douche que j'avais pu prendre. Mais je pensais à toi. Et ne te méprends pas, je n'essaie pas d'attirer ta pitié, ça, je n'en ai rien à foutre.
Il reprend sa respiration.
— Mais là seule chose que j'attendais c'était de t'appeler, te dire que tu pouvais revenir, entendre ta voix me dire que tu prenais le prochain avion. Je me voyais t'attendre à l'aéroport et te serrer dans mes bras de toutes mes forces. C'est l'unique chose qui me faisait tenir au milieu de ce chaos.
Je n'ose pas lui demander ce qu'il s'est passé, ni ce qu'il en est aujourd'hui. Je crois que je ne veux pas l'entendre, je ne veux pas savoir jusqu'où il est allé, mais j'imagine que s'il m'appelait enfin c'était pour me dire que tout était terminé.
— J'avais beau le savoir, je m'étais voilé la face. J'ai vu ton regard complètement anéanti, j'ai vu tes mains trembler, ton absence, ta voix vide. J'aurais dû comprendre que t'envoyer à des centaines de kilomètres et ne pas te donner de nouvelles pendant des jours n'allaient pas t'aider à te remettre et allait empirer les choses. Mais je m'étais créer cette petite bulle stupide où tout était fini et que tout irait à nouveau bien, parce que j'en avais besoin.
Je me souviendrais toujours des frissons et de l'étourdissement que j'ai ressenti quand j'ai entendu le coup de feu, j'ai sincèrement cru que j'allais faire un malaise.
— Je t'ai toujours laissé le choix Ruby, je t'ai toujours dit que si tu voulais partir tu pouvais.
Je pince mes lèvres en le suppliant intérieurement de ne rien dire de plus, je ne veux pas l'entendre, je ne peux pas l'entendre.
— Mais c'est plus facile à dire qu'à faire.
Je respire à nouveau et le regarde, les yeux baignés de larmes.
— Alors oui, tu peux partir. Tu peux me dire que tout est fini, que tu ne veux pas de cette vie, parce que si j'avais le choix je partirais aussi à ta place.
Sa voix se brise encore, des frissons d'horreur me parcourent à ces mots.
— Mais sache que je n'arriverais jamais à t'oublier, et que je le veuille où non, t'as changé quelque chose en moi. T'as changé l'image que j'avais de moi-même. Quand Enrique est mort, je suis mort avec lui. Moi, mes ambitions, mon futur. J'avais réussi à faire mon deuil. Mais t'es arrivée et peu importe à quel point j'essayais de me convaincre que tu partirais et qu'il ne fallait pas que je croie, à tout, à nous. J'y ai cru, et la vérité c'est que j'y crois encore.
Il s'avance, les joues baignées de larmes, les siennes comme les miennes.
— Mon billet de retour est dans sept jours. Ça te laisse le temps de réfléchir et savoir si je repars seul où si tu m'accompagnes. Si je pars seul, tu n'entendras plus jamais parler de moi, je te le promets. Je ne serais pas en colère, et je refuse que tu te sentes coupables de quoi que ce soit.
Il approche sa main et essuie une de mes joues humides.
— Tu m'as fait comprendre que j'étais capable d'être quelqu'un, que je pouvais encore aimer et être aimé pour qui j'étais vraiment et pas pour celui que j'étais obligé d'être. Et ça vaut tout l'or du monde, même si ça n'a pas duré.
Il reprend sa respiration et renifle.
— Et je te remercie pour ça.
Je me mets à hoqueter, je pose la main sur ma poitrine. Il me demande de réfléchir et pourtant ses mots ressemblent terriblement à des adieux et ça me brûle entièrement de l'intérieur. Il se recule et essuie son nez, les yeux rougis, il essaie à son tour de se calmer.
— J'ai un hôtel à quelques rues d'ici.
Il me tend un papier avec un numéro de téléphone.
— Tu peux m'appeler quand tu veux, je serais là sept jours, répète-t-il pour être certain que je l'ai bien compris.
Il reprend son sac à dos et avance jusqu'à la porte d'entrée. Je suis incapable de bouger où de dire quoi que ce soit, ma gorge me fait mal et mon cœur me brûle, comme si ma cage thoracique entière le comprimait. Il pose sa main sur la poignée de la porte d'entrée et se tourne.
— Merci de m'avoir aimé quand j'ai cru que c'était impossible, murmure-t-il avant de passer la porte.
Le silence ne m'a jamais paru aussi bruyant et son absence ne fut jamais aussi pesante. Et pourtant, il ne m'avait quitté que depuis un millième de seconde, mais j'avais l'impression que ça serait pour toujours.
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Dusk 'till Dawn
RomanceRuby n'imaginait pas une seconde qu'en quittant San Francisco pour s'installer à San Diego, sa vie allait basculer. Tout semblait pourtant ordinaire : une chambre chez un couple de retraités, un petit boulot dans une boutique, quelques heures de sou...
