Le mois de février a commencé il y a presque deux semaines maintenant. Les choses s'arrangent, enfin je crois. Rafael reste toujours aussi silencieux et je ne cherche pas à le brusquer. Un tas de choses se passent dans son esprit en ce moment. Il passe toujours autant de temps sous la douche, depuis cette nuit-là. Il me demande chaque matin si j'ai bien dormi et se blottit chaque soir contre moi en me soufflant à quel point il m'aime. Je patiente, je lui laisse du temps, de l'espace. Mais une partie de moi espère retrouver celui qu'il était avant bientôt. Je ne sais pas si c'est possible. Rafael a trop perdu. Ses études, son avenir, la première fille qu'il a aimée, son meilleur ami, son frère. Tout semble en permanence s'écrouler autour de lui et je ne sais pas si j'aurais moi aussi réussi à tenir à sa place.
— Tu peux prendre ta voiture pour aller à l'association ? Je dois passer chez mon oncle avant d'aller travailler, m'informe-t-il.
— Oui bien sûre, est-ce que c'est pour quelque chose d'important ?
Rafael ne part jamais voir son oncle pour quelque chose de pas important, surtout ces derniers temps, ma question vise certainement plus à qu'il me dise pourquoi il va le voir.
— Des affaires, se contente-t-il de répondre.
Je crois que je vais devoir me suffire de ça alors.
— À tout à l'heure, dis-je en enroulant mon écharpe autour de mon cou.
Il m'attrape le bras et me tire contre lui pour plaquer ses lèvres contre les miennes.
— Fais attention, et envoie-moi un message dès que tu es arrivée.
Je lui promets de le faire et quitte tout de suite l'appartement. Sa paranoïa n'a pas diminué et je ne peux pas lui en vouloir. C'est le calme plat depuis le soir de noël mais on ne sait jamais ce qui peut arriver avec les Requins, j'imagine que ces réunions bi-hebdomadaires chez les Scorpions ne parlent que de ce sujet.
Lucrecia m'attend dans la salle de repos, une tasse de café brûlante à la main.
— Tiens, dit-elle en me la tendant, je vais m'en refaire une.
Je la remercie d'un sourire bref.
— Ca se voit tant que ça que je ne dors pas bien ?
Elle grimace en guise de réponse.
— Et malheureusement j'imagine que ce n'est pas à cause de nuits fougueuses, hein ?
Je secoue la tête et lui explique que le sommeil de Rafael est toujours aussi agité. Il fait des cauchemars affreux et se tortille dans tous les sens et tout ça c'est quand il ne se réveille pas en sueur sans pouvoir se rendormir.
— Alors je reste éveillé aussi, parfois je l'accompagne dans le salon et nous regardons la télé tous les deux en silence en attendant qu'il s'endorme sur le canapé, épuisé. Parfois il reste au lit et je l'entends se maudire et retenir des sanglots. Je garde les yeux fermés, la tête posée contre son torse et j'écoute sa respiration saccadée en espérant qu'il se calme.
— Tu lui a conseillé d'aller voir un psychologue ?
Je hoche la tête, je n'ai émis l'idée qu'à deux reprises. Rafael a refusé immédiatement, sans donner d'explications. Je crois qu'il est compliqué d'expliquer à un médecin ce qu'il se passe au sein d'un gang.
— Je sais que c'est différent, mais quand Enrique est mort j'ai ressenti une énorme vague de culpabilité. Je crois que ce qu'on ressent tous quand quelqu'un que l'on aime meurt. On se dit qu'on aurait pu être là, autrement, mieux. Que si, ce jour-là, les choses avaient été différentes, on aurait pu éviter ce funeste moment. Peu importe la façon dont les choses se sont passées, on ne peut pas s'empêcher de se blâmer. Mais les jours passent et on réalise qu'on ne peut pas revenir en arrière, quoi qu'il arrive et peu importe à quel point on s'en veut.
Lucrecia se mord l'intérieur de la joue, pensive, puis reprend.
— Bruce a dû être extrêmement patient avec moi tu sais. Il savait que je l'aimais plus que n'importe qui, mais le fantôme d'Enrique me hantait sans arrêt. Et je suis certaine que Rafael se sent coupable de te faire vivre tout ça. Parce qu'on n'y arrive pas, on essaie de passer à autre chose, de faire notre deuil, d'accepter qu'on n'y est pour rien. Mais c'est juste trop difficile.
— Il faut laisser du temps au temps, répondis-je, j'attendrais le temps qu'il faut pour que Rafael se remette de tout ça.
Je montre la tasse remplie de café.
— Même si je perds dix ans de sommeil.
Lucrecia ramasse ses dossiers, prête à se diriger à son bureau, puis elle s'arrête.
— Pourquoi n'iriez vous pas au restaurant tous les deux ? C'est la Saint Valentin ce week-end, ça ne peut que vous faire du bien de vous retrouver pour un moment romantique en tête à tête.
L'idée de Lucrecia me paraît presque absurde, mais en y réfléchissant elle a entièrement raison. Rafael et moi n'avons jamais eu de rendez-vous à proprement dit à l'extérieur en dehors de notre virée sur la plage et de notre week-end à San Francisco. Maintenant que notre relation est publique, je pense que l'on peut se l'autoriser. Je pense qu'il faudra quelque peu convaincre Rafael, toujours à cause de la peur de nous balader tous les deux dans les rues peu sécurisées du quartier. Mais Lucrecia à raison, ça ne nous fera pas de mal après tout.
VOUS LISEZ
Dusk 'till Dawn
RomanceRuby n'imaginait pas une seconde qu'en quittant San Francisco pour s'installer à San Diego, sa vie allait basculer. Tout semblait pourtant ordinaire : une chambre chez un couple de retraités, un petit boulot dans une boutique, quelques heures de sou...
