Chapitre 36

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Sa voix résonne mais je n'entends rien, le regard dans le vide je ne fais que voir des flash de ce qu'il s'est passé, en boucle. Et je ne parle pas du bruit du coup de feu qui résonne chaque fois que je ferme les yeux.
— Ruby !
Je tourne la tête et la regarde.
— Tu as encore faim ?
Je secoue la tête et regarde Marissa emporter mon assiette jusqu'à la cuisine. Mon verre d'eau est encore plein, j'ai soif mais je n'ai pas envie de boire. Marissa revient s'asseoir en face de moi.
— Tu veux faire quelque chose ce soir ?
Je secoue la tête. Marissa penche la tête sur le côté et pose sa main sur la mienne.
— Il faut qu'on se change un peu les idées.
Je prends mon verre et le bois d'une traite.
— J'ai sommeil, peut-être demain ?
Elle se résigne et accepte. Je quitte la table et rejoint ma chambre, du moins ce qu'était ma chambre il y a de ça un peu plus d'un an. Marissa n'a toujours pas trouvé de nouveau colocataire, du moins c'est ce qu'elle dit à ses parents. La vérité c'est qu'elle n'en cherche pas. Elle est bien dans ce grand appartement toute seule. Mais si ses parents savaient ça ils obligeraient à déménager dans quelque chose de plus petit, pour éviter de payer un trop gros loyer. Alors elle dit simplement que les gens ne sont pas intéressés, où qu'ils ont un profil trop bizarre. Et ça passe, pour quelques mois.

Je m'assieds dans le lit et regarde le plafond. Je réalise que je n'ai pas éteint la lumière, comme la nuit précédente, celle d'avant et celle encore d'avant. Je n'ai pas envie d'être dans le noir.
Pour la première fois en presque vingt ans j'ai peur du noir.

Voilà une semaine que je suis ici à Francisco, chez Marissa. Je n'ai que de bref souvenir du reste de notre soirée de Saint Valentin à Rafael et moi. J'ai le coup de feu, le sang, le regard noir du garçon que je pensais connaître. Il a roulé à une allure dépassant la limite autorisée, tout en regardant en permanence le rétroviseur intérieur, de peur d'être suivie. Il a attrapé son portable et a appelé quelqu'un. Il ne parlait qu'espagnol, ou peut-être que mon cerveau n'arrivait simplement pas à suivre ce qu'il disait. Il m'a dit qu'il me déposait chez les Fuentes, que je passerais la nuit là-bas. Je n'ai pas répondu, je ne pouvais pas dire un mot. Il a expliqué qu'il avait lancé quelque chose qui dépassait tout contrôle et que j'étais en danger. Je n'avais pas peur de ce qui pouvait m'arriver. En fait je ne réalisais pas, je ne réalisais plus rien. Tout ce que je voyais c'était cet homme, cet homme qui est sorti de chez lui et qui a perdu la vie. Comme ça, en un coup de feu, en un claquement de doigt, un battement de cil, fini, terminé.
Le reste est flou, je ne me souviens plus comment j'ai quitté Rafael cette nuit-là, je ne me souviens plus de l'excuse que j'ai donné aux Fuentes pour passer la nuit chez eux, je ne me souviens plus comment j'ai trouvé le sommeil.

Le lendemain m'a paru bien plus clair. Lucrecia m'a appelé et m'a demandé où j'étais. Je lui ai répondu et elle m'a dit qu'elle venait me chercher. Je n'ai pas émis d'opposition, je n'étais plus certaine que ce que j'avais vécu la veille était réel. Je ne savais pas où était Rafael, ni ce qu'il faisait et sincèrement je n'avais pas envie de le savoir.
Madame Fuentes m'a demandé comment j'allais, elle n'a pas posé beaucoup de questions. Elle pensait très certainement que je m'étais disputée avec Rafael où quelque chose dans le genre. Lucrecia m'a prise devant la maison et m'a emmené jusqu'à l'appartement. Elle m'a dit de prendre quelques affaires, de quoi tenir deux semaines, peut-être plus. J'ai pensé un instant que j'allais venir chez elle. Après tout, je devais retourner au travail dès le lendemain. Elle n'a rien dit mais je savais qu'elle savait. Rafael a dû l'appeler ce matin-là, au premier rayon de soleil pour qu'elle s'occupe de moi. Alors que je m'attendais à me trouver devant chez elle, elle a pris la route de l'aéroport. Je lui ai demandé où elle me conduisait. Elle a ouvert la boîte à gants et pendant une demi-seconde j'ai eu peur d'y voir une arme. Mais rien de tout ça. Non, il n'y avait qu'un billet d'avion à destination de San Francisco. Juste un aller, pas de retour. Je lui ai demandé ce qu'il se passait. Lucrecia a réfléchi à quels mots elle devait employer. Puis elle m'a dit que ce qu'avait fait Rafael hier soir était une déclaration de guerre et que plus loin j'étais mieux ça valait pour moi. Je lui ai alors demandé pourquoi Rafael n'était pas venu de lui-même pour m'emmener à l'aéroport. Elle m'a répondu qu'il avait un tas de choses à faire. « Et soyons honnête, est-ce que tu as vraiment envie de le voir ? » j'ai secoué la tête.
Je ne sais pas quoi ressentir vis-à-vis de Rafael. Je ne l'ai pas reconnue. Et je ne sais pas si je l'ai vraiment connu un jour. J'ai demandé à Lucrecia si Enrique avait déjà tué quelqu'un. Elle a répondu par la positive. Je lui ai demandé s'il l'avait déjà fait devant elle. Elle a répondu par la négative. Elle s'est retrouvée un bon nombre de fois à devoir laver des vêtements qui portaient beaucoup de sang alors qu'Enrique n'avait aucune égratignure. Mais elle n'a jamais posé de question. Elle n'a jamais voulu savoir. Et je crois que j'aurais préféré en faire de même. Ces images, ce cri, cette odeur, ça ne me quittera peut-être jamais. Elle m'a déposé à l'aéroport et m'a dit que Rafael me contacterait.

Dusk 'till DawnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant