Chapitre 32

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Rafael est assis à côté de moi, il a accepté que je conduise, trouvant lui-même qu'il n'était pas en état de prendre le volant. Il tapote son pied en regardant le paysage à travers la fenêtre tandis que je lui jette des coups d'œil, inquiète. J'attends qu'il comprenne, ça peut venir à tout moment, comme pas du tout. Peut-être à cause de l'adrénaline, peut-être à cause de la chute, peut-être parce qu'il n'imagine pas une seconde que ça puisse arriver.
Le trajet jusqu'à l'hôpital m'a paru terriblement long, mon estomac se serre encore et encore en pensant à ce qu'il va arriver. J'aimerais être positive, comme Rafael, j'aimerais me dire qu'il n'a rien et que tout va bien. Mais c'est impossible, il s'est fait tirer dessus, une vrai balle juste en dessous du cœur. Peut-être qu'il peut y avoir des miracles, oui, dans les films. Mais nous ne sommes pas dans un film.
Arrivés à l'hôpital, Rafael essaie de joindre son oncle, en vain. Nous rejoignons les urgences, il est là, assis sur une des chaises, les mains sur le visage. Rafael l'appelle, il lève la tête et le regarde, furieux.
— Qu'est-ce que tu fiches ici ? Demande-t-il en colère.
Rafael se tourne vers moi, comme s'il ne savait plus vraiment pourquoi il était là.
— Il faut qu'il voie Javier, dis-je à voix basse.
L'oncle de Rafael, dont je ne connais d'ailleurs pas le prénom, secoue la tête et s'adresse à Rafael.
— Je t'ai dit de rentrer et de dormir !
Je réalise alors que son oncle savait, à la seconde où il a posé les yeux sur Javier. Il a dit à Rafael de rentrer parce qu'il ne voulait pas qu'il voit ça, il ne voulait pas qu'il soit témoin de sa mort.
— Il doit être là, insistais-je, c'est son meilleur ami.
Il comprend alors que j'ai compris et laisse très vite tomber.
— Il est au bloc opératoire, souffle-t-il bien moins rassuré.
Rafael s'assied sur la chaise à sa droite et je l'imite en m'asseyant à la droite de mon petit ami.
— Ils vont en avoir pour longtemps ? Demande Rafael.
Son oncle relève la tête et déglutit. Rafael ne sait pas, il ne réalise pas. Et imaginer qu'il prendrait mieux la nouvelle demain matin, au réveil, était une connerie. Je ne prétends pas mieux connaître Rafael que sa propre famille, mais je suis certaine qu'il s'en voudrait de ne pas avoir été là jusqu'au bout.
— Tu sais gamin, commence-t-il, la balle s'est logée très près du cœur...
— Il m'a dit qu'il allait bien, rétorque immédiatement Rafael.
Je prends sa main qu'il serre sur son genoux.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Demande-t-il à nouveau.
Son oncle lui explique qu'ils étaient pourchassés par les Requins, qu'ils leurs tiraient dessus. Je pose ma tête sur son épaule.
— Quand tu as tourné pour changer de rue ils avaient une parfaite cible sur toi et Javier, c'est là qu'ils l'ont touchés lui et la moto.
Rafael passe une main dans ses cheveux, il essaie de comprendre.
— Pourquoi aucune ne m'a touché ? Demande-t-il.
Son oncle hausse les épaules et je presse mes paupières plus fort pour ne pas pleurer.
— Ma moto est fichue, souffle-t-il, il faudrait peut-être que je vois un médecin aussi, j'ai un peu mal à la tête.
Il s'apprête à se lever mais je le retiens.
— Reste là, priais-je.
Il ne résiste pas et se contente de tapoter sur son torse, ses jambes, ses bras pour vérifier qu'en dehors des brûlures causées par sa chute à moto il n'ait aucune autre douleur.
— Monsieur Sanchez ?
Une voix féminine nous sort tous les trois de notre silence. L'oncle de Rafael se lève en premier, je le suis et Rafael finit par nous imiter. La femme tient son calot entre les mains, elle le serre très fort. Je m'accroche au bras de Rafael qui ne comprend toujours pas ce qu'il se passe.
— La balle a touché certaines artères du cœur, on a stoppé les saignements du mieux que l'on a pu, mais les dommages étaient trop importants.
L'oncle de Rafael soupire bruyamment.
— On a fait tout ce qu'on a pu, chuchote-t-elle la mâchoire serrée, je suis désolée.
Rafael secoue la tête et lui demande ce qu'elle veut dire. Elle déglutit et nous regarde son oncle et moi, tour à tour.
— Monsieur González est décédé, dit-elle en essayant de contenir toute émotion.
Rafael lui répond que c'est ridicule, parce qu'il allait bien, et qu'il ne peut pas être mort. Son oncle se tourne vers lui et essaie de lui expliquer, mais Rafael ne veut rien entendre.
— Il m'a dit qu'il allait bien ! Cri-il la voix pleine de colère.
Je m'accroche à lui et essaie d'attirer son attention mais il ne veut pas écouter.
— Je veux le voir, ordonne-t-il, je veux lui parler.
Son oncle dit à la chirurgienne qu'il s'en occupe et elle quitte la salle d'attente.
— Tu ne peux pas, il est mort !
Il tient son neveu par les deux épaules et le regarde droit dans les yeux espérant que ses mots le percutent. Rafale continue de secouer la tête et dire que c'est impossible. Il tourne alors la tête vers moi, tous les traits de son visage traduisent la peur.
— Dis moi que c'est pas vrai, supplie-t-il.
Je ne peux pas retenir mes émotions en voyant son air dévasté.
— Je suis désolée, dis-je la vue brouillée par les larmes.
Ses yeux s'embuent et il nous répète désormais à tous les deux que ce n'est pas possible.
— Il allait bien...
Ses jambes ne le tiennent plus et il s'écroule. Son oncle le soutient mais, comme si le poids du monde venait de se poser sur lui, Rafael insiste pour toucher le sol. Ses genoux et paumes de mains sur celui-ci, il regarde par terre en pleurant. Je m'agenouille auprès de lui et l'écoute répéter qu'il ne veut pas y croire.
— Je suis désolée.
C'est l'unique chose que je fus capable de lui dire, encore et encore. Il relève les yeux vers moi, et de tous les sentiments que j'ai ressenti durant ma vie, je crois que celui que j'ai actuellement est le pire.
— Il est mort, réalise-t-il avec effroi.
J'ouvre mes bras dans lequel il vient s'effondrer. Ses bras me serrent, sa tête au creux de ma nuque, ses larmes chaudes inondant le haut de ma poitrine.
— Il a dit qu'il allait bien, il m'a dit que ça allait, répète-t-il.
Il hoquète terriblement fort, et je ne peux que le tenir contre moi et essayer de retenir moi-même mes larmes. L'oncle de Rafael s'éloigne, les larmes de Rafael ne se calment pas, ni ses spasmes. Hors du temps, hors de tout, je sens bientôt ses muscles se relâcher. Il se détache de moi, le visage dévasté par la peine, par la douleur.
— Je veux rentrer à la maison, réussit-il à articuler.
Je me lève immédiatement et l'aide à faire de même. Plus un mot ne sort de sa bouche. Nous rejoignons son oncle qui nous signale devoir rester pour des raisons évidentes.
— Essaie de dormir gamin, souffle-t-il.
Rafael est comme engourdie, il marche jusqu'à l'extérieur de l'hôpital, sans vie, parce qu'il en a perdu une partie en y entrant.

Dusk 'till DawnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant