Mathis

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Je vais faire une attaque à ce rythme.

Assis sur un tabouret au balcon, je regarde mes précieuses boucles tombées sur la serviette autour du cou et sous mes pieds, sous un fond de musique classique très entraînante. J'ai entièrement confiance en Maxence, mais là c'est trop. Je cache mes larmes sans vraie conviction, le jeune homme arrête ce qu'il fait.

— Ça ne passe toujours pas ? me demande-t-il avec douceur.

— C'est trop dur ! J'ai cette coiffure depuis mon enfance, bordel ! Je n'arrive pas à me dire que je suis en train de faire ça !

Il me passe un mouchoir et s'assoit sur la chaise en face, nos genoux se touchent.

— C'est normal que ce soit très difficile pour toi. Dis moi ce que tu ressens.

Il pose sa main sur la mienne, tel un psy qui a envie que je me confie. Je suis mal à l'aise, mais en même temps c'est vrai que je ne comprends pas mon excès. C'est juste des cheveux ! Toutefois ce sont les miens ! Ça me brûle la peau de les sentir m'effleurer à chaque chute. C'est effrayant.

— J'ai envie de vomir ! J'ai le sentiment de perdre une partie de moi. Cette coiffure est ma personnalité. Je la trouve cool. Elle fait partie de mon identité génétique et bien que j'aie parfois été moqué pour mon côté poil de carotte, je n'ai jamais été tenté de me décolorer par exemple. Puis, René m'a aimé comme ça, je ne veux pas avoir l'air différent sachant qu'il a toujours aimé me voir ainsi. J'ai peur de ne pas me retrouver devant la glace, d'avoir quelqu'un d'autre en face de moi.

Mon jeune ami a un sourire compatissant.

— C'est une étape très cruciale de ton évolution. Une coiffure c'est comme un ami, une personne réconfortante qui nous accompagne chaque jour de notre vie partout où on va. Elle peut changer de personnalité à chaque coup de peigne, ou demeurer la même toute notre vie parce qu'on est bien avec elle. Dans ton cas, c'est presque ta meilleure amie, tu n'as jamais changé de coupe avant.

Oui, il a bien compris. Cette coiffure est ma meilleure amie.

— En tant que coiffeur, j'aime croire que je suis aussi une sorte de médecin capillaire, sourit-il. Il n'est pas juste question de coiffer, je t'assure, c'est aussi une thérapie.

— Une thérapie ?

Il a les yeux qui brillent, j'imagine que le fait que je m'intéresse à son travail doit lui faire très plaisir. Nous sommes tous comme ça.

— Oui, une bonne vieille thérapie. Tu ne t'es jamais demandé ce que les personnes chauves ressentent quand ils perdent leurs cheveux ? Ce qu'un homme barbue ressent quand le barbier diminue quelques centimètres de longueur ? Ce que ça fait de trouver la coiffure de sa vie, juste après une coupe ? Et même de savoir que la coiffure de notre mariage est celle qui fera forcément de nous la personne la plus splendide du jour ? À chacun de ces moments, la réponse à nos questions est souvent l'adresse du meilleur coiffeur qu'on connaisse. Pas forcément parce qu'on est le plus doué au brushing ou qu'on a un meilleur ciseaux.

— C'est quoi la réponse alors ?

— La parole.

Il est tellement sérieux que je garde le silence pour ne pas gâcher son moment.

— Une bonne vieille discussion peut tout changer. Où trouve-t-on les meilleurs commères ? Où va-t-on se défouler quand notre mari ou notre femme fait des siennes ? Où cherchons-nous des réponses quand on envie d'entendre les opinions du peuple ?

— Je dirais l'épicerie, mais tu vas me bouder, alors le salon de coiffure ?

— Tu es cruel.

Les Marron : Ménage à quatreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant