René

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Le Niclaire a grandement besoin de parler, ce sont des adultes, ils y arriveront. Je ne sais pas si à la fin ils seront encore ensemble, peu importe, on respectera leur choix.

Je demande qui veut passer, personne ne se prononce, même pas Samuel, il se recroqueville dans les bras de Stéphane. Un silence malaisant flotte dans l'air.

Alors les excités ? On fait moins les malins ? On réalise ce que ça veut dire d'avoir une véritable pression sur les épaules ? De savoir que la vie de son conjoint ou sa conjointe dépend exclusivement de nous ? Je n'ai pas créé ce jeu au hasard.

Un jour, il y a bien longtemps avant que je ne sorte avec Mathis, une femme dans la soixantaine faisait les courses, elle était au même rayon que moi. Elle regardait deux paquets de chips avec une profonde attention. J'étais amusé de cette concentration, je me suis dit que je pouvais l'aider. Lorsque je l'ai approché, je lui ai proposé mon aide. Elle m'a remercié, elle était dans un dilemme. Elle voulait choisir un paquet pour son mari qui l'attendait à l'accueil, seulement son médecin lui avait interdit d'en consommer pour son régime. Ça faisait déjà deux ans et demi qu'il n'en avait plus goûté un, alors par amour, elle voulait lui faire cette petite gâterie pour lui montrer qu'elle était fière de lui. J'ai trouvé ça mignon. Je l'ai orienté sur un produit adapté qui lui plairait sûrement. Elle avait l'air si heureuse, pourtant ce n'était qu'un paquet de chips.

Je l'ai aidé à pousser son cady jusqu'à la caisse. Lorsqu'on a réglé nos achats, je m'attendais à ce que son époux vienne l'aider à porter les sacs.

Il est où votre mari ?

Oh, il est juste là.

J'ai jeté un oeil où elle a pointé, mon cœur a cessé de battre. Un homme en fauteuil roulant personnalisé attendait à côté de l'entrée. Je voyais les sangles du corset qui le tenait droit sur son siège et la forme de la chaise ne laissait aucun doute possible, il était tétraplégique.

Voyant ma stupeur, la vieille dame m'a juste dit qu'elle se débrouillerait seul à présent. Elle a poussé son cady jusqu'à son époux, dont le visage s'est illuminé en voyant sa femme. Ses yeux brillaient presque. Je suis resté là à les observer je ne sais plus combien de temps, on aurait dit qu'il était soulagé qu'elle soit revenue. Ça se voyait dans son regard reconnaissant. Ma gorge était nouée, je ne trouvais pas de mots pour définir ce que je voyais. Puis un élan de lucidité m'a frappé, je devais l'aider à porter ses sacs. Je me sentais un peu con et inutile.

Vous n'avez pas besoin jeune homme, le vigile le fait toujours.

Ça ne me dérange pas, madame, s'il vous plaît laissez moi faire.

Même si elle le feignait, je savais qu'elle mentait. Le vigile de cette supérette ne s'éloignait jamais de son poste. Soulagée, elle m'a guidé à travers le parking en poussant son mari. Ils discutaient calmement tous les deux, les gens les regardaient de travers à notre passage, elle s'en fichait. Elle avait un sourire béat que j'admirais en permanence. Leur véhicule était un van, il était adapté pour lui qui restait à l'arrière, les courses à l'avant avec elle.

Merci pour tout jeune homme, de nos jours les jeunes sont moins serviables.

Pas de quoi, Madame, ça m'a fait très plaisir.

Elle savait à mon regard troublé que je me posais des questions.

Vas-y, tu peux me poser deux questions. Je serais ravie de te répondre.

Les Marron : Ménage à quatreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant