Prologue

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Derrière mon sirop pour la toux, je grelote. Les dizaines de mouchoirs jetables sur le canapé et la table, sans oublier la bouillotte sous mes pieds témoignent de mon pauvre état.

— ATCHOUM !

— Désolé, mon amour, tu iras mieux très vite.

René, mon mari et ami depuis la maternelle, me fait un pot au feu spécial guérison dont il a le secret. Graphiste de métier, je pense qu'il a raté sa vocation, il fait de la choucroute comme personne. Mon adorable servant de contes de fée garde toujours son sourire franc, même quand je suis de mauvais poil, j'ai envie de lui enfoncer un clou dans les narines. Nous sommes mariés depuis seulement quinze jours que déjà j'attrape un gros rhume de notre retour des montagnes. Tout le programme <<galipettes jusqu'à midi>> est remis en question par ma faute, alors que c'était enfin mon tour de choisir une nouvelle position.

La vie est injuste.

Je m'appelle Mathis Cavignon, mais depuis notre mariage j'ai décidé de porter le nom de mon servant d'amour, Marron. En ce début d'année 2031 nous sommes si heureux de pouvoir enfin vivre notre amour sans honte. Mon chéri et moi avons caché notre liaison durant sept ans, pourtant nous savions déjà que l'autre était homosexuel. Par un fabuleux concours de circonstances et un avion raté, nous avons réalisé que nous étions fait l'un pour l'autre, toutes nos anciennes relations ne servaient absolument à rien. J'étais rondement jaloux de tous ses copains de toutes façons.

Malgré cette belle proximité, nous savions que l'annoncer à nos familles serait un véritable obstacle à notre épanouissement. Raison pour laquelle nous avons attendu une date fixe pour notre union, afin de leur lâcher la bombe quelques jours avant. Mon frère, mes parents et la mère de René l'ont pris avec une certaine réserve, cependant son père était soulagé qu'il se marie avec moi qu'avec un étranger qu'il aurait été obligé de connaître. Même si ce n'est pas un franc succès, cela nous a suffi pour se dire «Oui !» devant le Maire.

J'éternue plusieurs fois, ma chevelure bouclée me tombe sur le nez.

— Doucement, tu as pris tes médicaments ?

— Boui.

Il éclate de rire en se lavant les mains. Nous avons la même taille et le même gabarit. Il est brun et barbu, toujours attifé d'un Jean et une chemise, peu importe le climat, tant que j'adore ça me va. Je suis la frimousse rousse de sa vie, mes taches de rousseurs me parsèment tout le visage et le torse, il en rafole. Nous ne sommes pas nantis et la vie à deux nous suffit très largement.

Il vient s'asseoir à quelques mètres de moi sur le canapé, des tasses fumantes dans les mains, j'ai trop envie de lui faire des bisous dans le cou. Il a un magnifique port de tête.

— Je sais que dans ton état tu n'aimes pas qu'on aborde des choses sérieuses, mais il y a un petit détail sur lequel je veux échanger avec toi.

Interprétation de la formule René, un petit détail veut dire une très grosse entourloupe que je suis obligé d'accepter. J'adore mon homme, mais s'il croit que je vais dire oui à une demande formulée dans mon état second, alors il a tout à fait raison. Je suis trop faible pour dire non.

— C'est à propos de la chambre de libre dont on parlait.

Ce superbe appartement que nous a offert son père est un vrai cadeau du Ciel. Je ne me voyais pas quitté cette grande ville pour la province après le mariage, même si c'est là-bas qu'il vivait. Je suis avant tout un DJ, même si j'ai troqué mes platines pour me reconvertir en écrivain, j'aime bien mixé sur mon temps libre. Ça n'aurait pas fonctionné avec des voisins hermétiques à la vie nocturne. Seulement, l'espace de vie est immense pour tous les deux, nous savons que beau-papa pensait à ses futurs petits-enfants, malheureusement pour lui nous n'en voulons pas. Je ne me sens pas prêt et René est simplement allergique à l'idée.

Alors partager les tâches ménagères sans compter l'entretien du mobilier alors que nous n'utilisons que la moitié de toute cet espace est un peu énervant. Nous avons pensé à louer une chambre et garder une autre pour d'éventuels visiteurs. C'était sur un coup de tête que j'avais dit cela, peut-être que finalement mon chéri a réfléchi à cette éventualité.

— J'ai fait une annonce dans un quotidien et à partir de vendredi je vais recevoir trois personnes intéressées.

— Du boment que l'on me fisse la baix, bais ce que tu beux.

Il rigole en me passant le thé chaud.

— Je suis très tatillon et sélectif, j'ai peur de laisser passer un bon locataire juste parce que leurs têtes me font chier. Tu es doué pour ça, ça me stress un peu.

René n'est pas connu pour sa diplomatie, il est très direct, voire très froid quand il n'est pas à l'aise avec un sujet ou une personne. Pas étonnant qu'il n'apprécie pas mon petit frère Axel qui est homophobe. Contrairement à lui, ses mots ou ses actes ne m'atteignent plus. C'est la vie.

— Ta mère a appelé. Elle veut s'assurer que tu participeras à votre réunion de famille annuelle. Apparemment je suis trop possessif, elle dit que je t'éloigne un peu trop à son goût. Elle ne disait pas ça quand nous étions les meilleurs amis du monde.

Je soupire. Nous sommes en Janvier et la réunion est pour décembre. Elle croit que parce que je suis marié et gay ca veut dire que je ne fais plus partie de la famille. Ça promet quand on sera attablés pour la dinde. J'aime ma mère, mais là elle devient lourde.

— Ton père a aussi appelé. Pour la énième fois il veut savoir lequel de nous deux top. Je pense que l'idée que tu te fasses enfiler ne passe toujours pas.

Nous rigolons comme des gamins, si seulement il savait que mon chéri est exclusivement bottom. Sa dégaine très virile joue avec le stéréotype parce que je suis plus nonchalant, alors de l'extérieur il fait plus «Homme» que moi. Les clichés ont la vie dure. Qu'il se pose la question en douce, dans son coin, je m'en fiche, mais de harceler mon mari pour ça ? Ils abusent.

— Kelly m'a debandé hier si t'étais vraiment ce que ze recherche comme partenaire, dis-je essoufflé.

— Toujours pas accepté que tu es gay ? Je vois.

Nous soupirons tous les deux. Nos amis ne sont pas en reste. En dehors d'un seul copain de fac qui savait que mon mari en pinçait déjà pour moi, avant que nous nous en rendions réellement compte, aucun pote n'a remarqué que nous étions en couple, c'est fou quand même. Je veux bien croire que nous n'avons jamais fait l'effort d'être trop intime en public, mais il faut croire que de faire une allusion lubrique sur le sexe de son «ami» au milieu de notre bande est passée crème pour des enfantillages.

Sérieux ?

J'ai dit ouvertement que je lui faisais la pipe et personne n'a capté le sous-entendu ?

Le monde est étrange.

C'est agaçant de devoir répondre à toutes leurs questions et préoccupations alors qu'il s'agit de notre couple, de notre vie, de nous. Nous ne sommes pas les premiers amis à se mettre ensemble, un peu de réalisme c'est trop demandé ?

Il se lève pour aller se soulager, je rumine mon mal-être en buvant une autre gorgée de thé. La camomille est une amie fidèle !

On sonne à la porte.

C'est mieux que j'aille regarder, il a déjà tant fait pour moi depuis le début de ma maladie. Je suis un peu assommé, mais j'arrive tout de même à traîner le pas. Cette couverture volumineuse m'écrase. On sonne encore et encore, ma tête bourdonne. J'entends René qui arrive, je suis devant la porte.

J'ouvre direct, pas le temps de demander qui c'est. À ma désagréable surprise c'est mon frère. Je vois ses valises dans les mains et son visage en larmes. Ça ne sent pas bon. Mon mari se tient à côté, aussi confus que moi.

— Fréroooooooot... je... Je... crois...

Il renifle.

— Je crois que je suis gaaaaaaay.

Au bout d'une seconde, René lui claque la porte au nez.

— On a rien vu, il ne s'est rien passé. Retournons dans le canapé, me sourit-il.

Il s'en va.

IL A DIT QU'IL EST PEUT-ÊTRE QUOI ?





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Les Marron : Ménage à quatreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant