Chapitre 4

883 50 21
                                    

Chapitre 4

Zack

J'ai tout de suite reconnu ses yeux au bleu de l'océan. Le pire est quand nos regards se sont croisés et que je me suis sentie tomber dans un profond gouffre sans fin. J'ai manqué d'oxygène et je n'avais plus la capacité de contrôler les battements de mon cœur qui ont accéléré à m'en donner la nausée.

Kaïlie se tient debout tel un pique et me reluque, du haut de l'estrade de la classe. J'imagine bien qu'elle ne s'attendait pas à me revoir un jour, encore moins dans ces lieux. Et c'est pareil pour mon cas, d'ailleurs. Dans quelle merde je me suis encore foutue ? Pourquoi je n'ai pas refusé son aide, l'autre jour ? Parce qu'elle est intéressée à moi, tandis que personne ne l'a jamais fait ? Parce que, bien qu'elle ait dû avoir peur de ce qu'elle voyait, elle n'a pas pensé à s'en aller et à me laisser, le sang gisant sur le sol ? Parce que profiter de ses services gentiment proposé m'ont rendu « important » pour quelqu'un l'espace d'un instant et que cela m'a plu ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que je n'oublierai sans doute jamais ce qu'elle a fait pour moi. Je peux être son guide, je lui dois bien cela. En revanche, j'espère qu'elle se contentera de suivre mes conseils et de ne jamais raconté à personne ce à quoi elle a assisté.

— Tu pourras prendre les cours qu'il te manque si tu veux, tenté-je pour l'amadouer quand je comprends qu'elle compte se taire.

Je n'aime pas son silence. Enfin, ce silence. Je préfère encore l'avoir dans la poche.

— C'est très gentil, s'adoucit-elle.

— Quand c'est la pause, je te passe mes cours de la journée et je te donnerai le reste les jours à venir, en fonction des matières que tu n'auras pas pu rattraper aujourd'hui.

— D'accord ! On fait ça !

Est-elle persuadée ?

Je me permets de l'observer discrètement, du coin des yeux. Je suis incapable de la cerner, ni de savoir ce qu'elle ressent. Elle ne laisse rien paraître. Elle est très douée, mais cela ne me rassure pas du tout.

Son parfum à l'odeur de fleur de cerisier m'a troublé. Il ne quitte pas mes narines depuis qu'elle s'est installée.

Kaïlie ressemble à un ange. Blonde vénitienne, yeux bleus et une peau vanillée. Sur celle-ci ne se trouve aucune imperfection et l'adolescence n'a pas eu raison d'elle. Je me dis même que de nombreuses filles doivent la jalouser rien que pour cette raison. Certaines mèches de ses cheveux brillent, grâce au soleil qui l'embellie à l'instant.

Je ne me sens plus serein lorsque ses iris plongent dans les miens, parce que j'ai cette sensation qu'elle lit en moi, comme dans un livre ouvert, et qu'elle arrive à découvrir qui je suis, réellement. Je n'ai plus de questions pour elle, car elle sait tout.

Nerveusement, je passe le bout de mes doigts sur mes différents bracelets brésiliens et mon geste ne laisse pas la blonde indifférente, puisqu'elle lance sur un ton de plaisanterie :

— Tu es nerveux ou je rêve ?

Mes doigts s'enfoncent dans ma paume, que je place sous la table pour éviter qu'elle ne le voie. Je n'apprécie pas son assurance. Je crois qu'elle n'imagine pas de ce qu'elle risque si elle se colle trop à moi. Ils finiront par s'en prendre à elle, c'est indéniable. Je refuse cette opportunité.

— Kaïlie, reste en dehors de ça.

Son bleu azur se porte encore sur les mouvements qu'enchaîne notre professeur. J'ignore pourquoi, mais son tic m'a toujours fait rire. Il se sent obligé de mimer tout ce qu'il souhaite nous expliquer. Apparemment, parler ne lui suffi pas.

— C'est sérieux, rajouté-je pour qu'elle comprenne l'enjeu de la situation.

Ses sourcils brossés vers le haut se redressent et elle m'offre un regard surpris.

— Je n'attends rien de toi. Juste que tu sois un bon guide dans le lycée et pourquoi pas sur Paris. Rien de plus. Ce qu'il s'est passé restera entre toi et moi. Promis, se sent-elle obligée de se justifier.

Je ne sais pas si elle est digne de confiance, mais on verra bien. Après tout je saurai quoi faire si cela venait à dégénérer. Mais je dois la protéger, coût que coût, sans pour autant la laisser parler.

Je comprends qu'il est bientôt 10h quand mon ventre émet de légers grouillements. Discrets mais pas assez pour échappés à ma voisine.

— Tu as faim ?

— Un peu, ouais, avoué-je mal à l'aise.

— J'ai pris des pains au chocolat !

Aussitôt dit, aussitôt fait. Elle s'empresse de les sortir de son sac de cours et m'en glisse un.

— C'est vraiment très sympa. Merci.

J'ai le droit à un joli sourire en guise de réponse.

Je ne crains que la rumeur arrive vite à ses oreilles. Soit elle décidera de ne plus jamais m'approcher, alors je ne pourrai pas savoir si elle l'ouvre ou pas. Soit elle choisira l'option de tout balancer pour se mettre en accord avec la rumeur. Elle suivrait la foule et cela lui garantirait une place au sein des lycéens. Après tout, elle est nouvelle et cela pourrait être sa façon de s'intégrer. C'est tout l'un ou tout l'autre. Mais si je me souviens de sa bienveillance, de ses yeux à l'air peinés, de ses gestes si doux et rassurants, je pourrai croire que ce n'est pas une femme comme ça.

— Aller, bonne journée, chers élèves !

La voix du prof résonne en fond dans mes oreilles, comme s'il faisait partie d'un rêve et que je n'étais plus vraiment présent. Malheureusement trop occupé à me torturer l'esprit sur ce qu'il adviendra de la situation. Si seulement elle n'avait pas été là...

— Tu ne sors pas ? m'interroge la blonde, étonnée que je sois resté planté là, le regard fixe et vide.

Je secoue la tête pour reprendre mes esprits. En guise de réponse, je lui offre mes cours.

— N'hésite pas à tout regarder, à tout ouvrir. Fais comme si c'étaient tes affaires.

Elle acquiesce et ses jolies boucles blondes s'entrelacent.

On a quinze minutes de pause, ce qui me laisse largement le temps d'aller m'enfiler un joint. Je descends les marches à vive allure et souffle pour tenir le rythme. Je suis un grand sportif et l'endurance, ça me connaît. Même si, parfois, la douleur qu'éprouve mon tibia droit me rappelle à l'ordre. Comme s'ils me rattrapaient pour me rappeler que je dois rester silencieux. Il me contrôle et je me mets à le haïr comme jamais je n'ai haï quelqu'un. Pas même mes géniteurs. Ce pourri, il ne me lâchera jamais.

Arrivé à l'extérieur du bahut, je me place assez loin pour qu'on ne puisse pas me choper. La semaine dernière encore, les flics en ont attrapé une belle brochette. Depuis, ils font pas mal de rondes. Non pas que cela ne m'inquiète, mais je refuse qu'on me foute en taule pour si peu et, surtout, je veux fumer mon putain de joint.

Une fois qu'il est roulé et allumé, je l'amène à mes lèvres et inspire fort, d'un coup sec. Je fais plusieurs coups comme celui-ci et il ne me faut pas beaucoup de temps pour me sentir déjà un peu parti. J'en suis accro. Depuis l'été de l'année dernière, je ne peux plus m'en passer. Ma psy, que je voyais autrefois, trouvait étrange le fait que je fume le joint d'un coup et sans raison. Au contraire, moi, je ne trouve pas cela anormal. Que faire, lorsqu'on désire tant noyer son chagrin ? Et qu'aucun être humain, pas même un psy, n'est en mesure de soigner ? Eh bien, on se perd dans la drogue. Peu importe les effets néfastes qu'elle inflige à mon corps et peu importe ce que les autres pensent de moi. C'est par ce moyen que je veux me détruire et personne ne pourra jamais m'en empêcher.

Love will save meOù les histoires vivent. Découvrez maintenant