Une Seconde Éternité

Ch 1 : Réveillé !

« Shixiong* ? » s'étonna Yuan Lie d'une voix rauque. Il faisait encore nuit quand, toujours à moitié endormi, il ouvrit la porte sur le junzi* qui tambourinait impatiemment depuis trois minutes.

Il cligna des yeux dans la lumière jetée par la lanterne que portait son aîné, quand la petite flamme s'éteint en les plongeant dans le noir, puis se ralluma aussi vite.

« Pardonne mon intrusion tardive, mais l'heure est grave, lui dit Zhu Yaling, sans détour, habitué à ce que le feu réagisse souvent en présence de Yuan Lie, comme à l'instant.  Ta présence est requise à la salle des Sept Sages. Hâte-toi. Habille-toi.
— Là ! Je suis à vos ordres, Xiujun* ! » répondit aussitôt Yuan Lie en s'écartant de la porte pour effectuer un salut formel à l'héritier.

Comprenant l'urgence, il laissa sa porte d'entrée grande ouverte et retourna à l'intérieur afin de se changer. En moins de temps nécessaire pour prendre une tasse de thé*, les deux jeunes hommes marchaient côte à côte, d'un pas léger et rapide, se faufilant tels des ombres dans l'obscurité des jardins. S'ils s'habillaient de la même tenue vert bambou, ils étaient aussi différents qu'une main droite de sa main gauche. Yuan Lie bailla en s'étirant, ce qui eut le don d'agacer le messager qui l'avait sorti de chez lui.

« Je suis le fils du chef de clan, grommela la bouche incurvée de Zhu Yaling, je ne devrais pas avoir à venir te chercher ! »

Comme s'il appuyait ses dires, son accessoire doré, de la forme d'un bâton de bambou piqué dans ses cheveux, brilla sous la lueur des scintillements incessants dans le ciel.

« Ce n'est pas moi le premier disciple du maître, ni le deuxième... » marmonna Yuan Lie, encore grognon d'avoir été tiré de son sommeil qui pour une fois était profond.

Pour quelqu'un qui souffrait régulièrement d'insomnie, le sommeil était une denrée précieuse et une amie bienvenue qu'il chérissait. Surtout qu'il était submergé dans un rêve où justement, il plongeait du haut des cascades des Chutes Blanches(1) en riant, ce qui lui fit rouler des épaules d'agacement. Il ajouta alors :
« Shixiong ? Vous auriez pu envoyer un serviteur ou n'importe qui d'autre. Qui vous a demandé de venir me chercher vous-même ?»

Zhu Yaling répondit avec gravité, l'air solennel :
« Père et mon oncle... »

Yuan Lie pensa que la situation devait être sérieuse pour que les deux chefs de la secte Bambou de Jade envoient Zhu Yaling en personne. Depuis qu'il était entré sous la tutelle du même maître que lui depuis quelques saisons, Zhu Yaling était certes devenu son aîné, mais ainsi que l'attestait la Tige de bambou à une feuille qui tenait fièrement ses cheveux, il était l'héritier en personne de toute l'île et de tout ce beau domaine. Il avait le statut d'un futur seigneur, pas celui de simple messager - ce qui n'empêcha pas Yuan Lie de le taquiner.

« Même les parents d'un empereur doivent quelques fois se résigner à une humiliation pour remplir une importante mission. Selon mon humble opinion, le rôle du messager commence même avant que le roi ne mobilise ses soldats et répartisse ses généraux. La mission la plus importante dans une guerre peut parfois être juste de faire sortir quelqu'un de son lit.
— Range tes belles paroles ! » rétorqua la voix cynique à sa droite.

En même temps, il suffisait à Yuan Lie d'étirer un peu le cou et de regarder par-delà des murs pour comprendre pourquoi les aînés étaient perturbés.

Derrière les murs, puis derrière la barrière, gisait des cadavres, et derrière ces corps, se tenait quelque chose de singulièrement effrayant, tapi dans le silence, et qui errait tranquillement à travers une marée noire de créatures effrayantes qui encerclait le Pavillon du Bambou. C'était le nom de cet endroit et leur lieu de résidence. Yuan Lie esquissa un demi-sourire en glissant ses mains dans ses manches.