Une Seconde Éternité

Ch 12 : Désirs et Confidences

'' Hein ? Non ! Non ! Il n'aurait jamais dû recevoir mes lettres !'' Sur l'instant, Yuan Lie ne sut pas s'il devait se creuser un trou dans le sol ou juste pleurer. Rajustant son expression, il demanda innocemment d'une petite voix :

« Récemment ?
— Non, répondit Qian Jingliu, sa voix grave, d'un calme parfait. Aussitôt qu'elles ont été reçues à la Tour d'Eau. »

En entendant sa réponse, le visage de Yuan Lie prit différentes couleurs, passant du rouge au gris puis au blanc et son coeur sombra dans sa poitrine. Qian Jingliu avait reçu ses lettres et avait choisi de ne pas répondre. Il était finalement pire qu'un étranger aux yeux de Qian Jingliu ?

Le junzi croyait que le Tigre passerait outre le fait qu'il trimbalait le Patriarche des Enfers comme un chien et il espérait secrètement que les quelques jours passés à partager le sort de Sept-sept les avaient rapprochés. Cet espoir avait commencé à germer en lui, surtout lors de la dernière nuit où ils avaient discuté ensemble avant que Qian Jingliu ne disparaisse pendant quatre ans.

C'était le soir où ses amis avaient découvert Kaze, juste après le carnage dans l'antre des Ombres de Jade. Ce soir-là, alors que Yuan Lie s'était éclipsé pour s'isoler loin du groupe, Qian Jingliu était venu le voir et seulement quelques phrases de lui avaient suffi pour lui redonner espoir. Qian Jingliu lui avait assuré que son ami lui pardonnerait et reviendrait vers lui. Il l'avait convaincu de garder confiance et de croire en leur amitié. Qian Jingliu était aussi celui qui le persuada de ne pas fuir seul et loin de tous, mais de tout révéler à Zhu Yazhu. Cependant, après cette nuit-là, Qian Jingliu disparu complètement. Il ne revint plus au Mont Zhu et un an plus tard, Yuan Lie apprit que Qian Jingliu entrait en réclusion où il y resta pendant trois ans.

Quand Yuan Lie vivait au monastère, il s'attirait souvent des ennuis et se faisait tout le temps punir pour ses caprices. Entouré de tant d'autres enfants privés d'affection, c'était son seul moyen d'avoir de l'attention et plus tard lorsqu'il voyageait avec feu Shi Chang, il put enfin accaparer le temps et l'attention d'une personne pour lui entièrement. Même en repensant aux vagues souvenirs de son temps aux Enfers, il n'avait pas l'impression d'avoir été seul. Lorsque Shi Chang mourut et qu'il rejoignit le Bambou de Jade, en dépit d'avoir retrouvé son meilleur ami d'enfance et d'être de nouveau entouré de monde ou de nouveaux amis, le plus dur pour Yuan Lie, pire que le deuil lui-même, était le sentiment amer de l'abandon qu'il ressentait.

Pendant des années, il ne supportait pas l'idée d'être seul dans sa maison, même pour dormir. Dès lors, il développa une insomnie chronique. Parce qu'il connaissait que trop familièrement le sentiment d'être seul et abandonné, il ne put s'empêcher de penser que Qian Jingliu devait lui aussi ressentir ces mêmes émotions.

Imaginant un petit Qian Jingliu isolé dans une tour et grandissant à l'écart de ses semblables, ou ayant atteint un âge adulte en étant entouré des siens mais restant incapable de se faire un seul ami dans son propre clan, Yuan Lie ne put le supporter, ni empêcher son cœur de gonfler de compassion pour ce prince de glace. C'était lors de leurs temps passés ensemble durant le sort de Sept-Sept que Yuan Lie se fit cette opinion et comprit plus ou moins l'écart qu'il y avait entre Qian Jingliu et sa tribu. Ses plus proches amis, n'étaient-ils pas issus de clans éloignés qu'il ne voyait que quelques fois par an ? Dire qu'il pensait qu'en devenant Faiseur de Pluie pour aider tout le monde, Qian Jingliu serait populaire, n'était qu'une illusion.

Depuis lors, Yuan Lie s'était juré de devenir l'un des amis de Qian Jingliu et il persévéra dans ce sens en lui envoyant toutes ces lettres pour qu'un jour, Qian Jingliu puisse oublier ce sentiment de solitude et d'abandon. Hélas, la réalité ne répondit ni à ses désirs, ni à ses bonnes intentions. Pourtant, Yuan Lie continua secrètement de nourrir cette envie. Mais quatre ans de silence plus tard, ils étaient aussi étrangers qu'au premier jour.