5/ La blanchisserie

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— Mme Oliver ?

— C'est moi, dit la matrone qui plie une pile de serviettes d'un blanc éclatant avant de les déposer dans une corbeille.

Elle se trouve derrière un comptoir qui porte plusieurs corbeilles déjà bien remplies. Une petite jeune fille maigrichonne coiffée d'un fichu blanc vient en prendre une avant de disparaître dans la pièce d'à côté par un petit passage sans porte.

— Je m'appelle Jane Shaw. M. Robertson m'envoie vers vous pour un emploi, si vous avez besoin de quelqu'un, bien sûr, ajoute Jane avec le fervent espoir que ce soit le cas. Sinon, elle ne donne pas cher de sa peau dans la capitale. Autant repartir tout de suite.

Mme Oliver se déplace prestement et vient se mettre face à Jane qui sourit aimablement.

— Cessez de sourire comme ça, jeune fille ! Vous n'êtes pas là pour me séduire ! s'exclame la blanchisseuse avec un air de dogue. Alors pourquoi vous êtes-là ? Vous avez fugué ? Vous avez suivi un idiot qui vous a plaqué en arrivant ? Vous êtes enceinte ?

— Rien de tout cela, je vous assure, dit Jane calmement alors qu'elle boue intérieurement.

— Rien de tout ça, hein !? Alors quoi ? Pire ? Vous êtes recherchée ?

— Excusez-moi, Mme Oliver, mais connaissez-vous bien M. Robertson ?

— Comment ça ! Comment ça ! Si je connais cet idiot de James Henry Robertson ? Ah ! Ça ! Je le connais ! Je le connais même très bien ! C'est mon abruti de frère !

Jane est interloquée. M. Robertson est un homme calme et posé. Plutôt grand. Le temps a grisé ses cheveux, mais il a conservé une stature militaire. Un corps entretenu. Mme Oliver est à l'opposé de tout cela. Elle est petite, plutôt ronde, et semble sanguine et vindicative.

— Et quoi ! Tu ne dis rien !

— C'est que... Je ne m'attendais pas à ça.

— Il te l'avait pas dit ! C'est un idiot ! Ça, moi, je te le dis.

— Non.

— Comment ça non ?

— Non. M. Robertson n'est pas un idiot.

— Allons bon ! Tu ne serais pas sa maîtresse, des fois ! Il n'aurait pas osé m'envoyer sa maîtresse en cloque, parce qu'il ne sait pas quoi faire !?

— Mais ça suffit ! s'exclame brusquement Jane. Je ne suis pas enceinte ! Je ne suis la maîtresse de personne ! Je viens de perdre ma mère, et mon oncle, qui lui, est un réel abruti, m'a bien fait comprendre que je ne devais pas compter sur lui pour survivre. J'ai juste besoin d'un travail ! Mais si c'est trop demandé ! Je vais aller voir ailleurs !

La réaction de Mme Oliver à la réplique cinglante de Jane, est aussi surprenante que le reste. Elle éclate de rire.

— Et bien voilà ! Fallait juste que ça sorte.

— Mais...

— Bien, gamine. C'est quoi ton nom déjà ?

— Jane Shaw.

— Bien, Mlle Jane Shaw. J'ai une place, mais c'est pas pour les chochottes. Fallait que je vois ce que t'as dans le ventre, parce qu'ici il faut trimer dur et pas jouer aux jeunes filles de bonne famille. Ce dont tu as l'air. Ici, c'est la guerre contre la crasse des bonnes gens ! Contre les faux-plis ! Contre toutes les choses dont tu ne t'es sans doute jamais occupée.

— En fait, si.

— Pardon ?

— En fait si. Je m'occupais du linge de la maison. Ma mère est effectivement issue d'un famille bourgeoise, mais elle ne m'a pas élevée dans la soie comme vous le sous-entendez. Nous avions bien une bonne, mais ma mère tenait à ce que je sache tout faire. Alors si. Je sais ce dont vous parlez.

Mme Oliver observe un bref instant Jane. Son visage est sans expression particulière mais son regard la scrute.

— Tu n'es pas une forte tête quand même ?

— Non, madame. Mais je n'aime pas que l'on dise du mal sans raison. Je ne suis pas une feignante, ni une tire-au-flanc. J'ai besoin d'un travail... et d'un toit.

— Comment ça ?

— Mon oncle m'a donné l'adresse d'une pension qui a brûlé dans un quartier mal famé. J'aurais dû me douter qu'il ne cherchait pas à m'aider. Je cherche donc aussi un endroit où poser mon sac. Si vous connaissiez une pension...

Mme Oliver se déplace de quelques centimètres puis se retourne. Jane voit alors plusieurs têtes disparaître du passage qui mène à l'arrière-boutique.

— Marie ! Claudia ! Ici ! Fissa !

Deux jeunes filles en robe simple, tablier, et chapeautées d'un fichu blanc dont s'échappent quelques mèches de cheveux d'une blondeur stupéfiante, apparaissent. Elles sont identiques. Des jumelles comme des poupées. Jane les trouve aussitôt ravissantes.

— Prenez vos affaires et menez notre nouvelle recrue à la pension de Mme Rose. Pas de détours pour batifoler.

L'éducation de Jane ShawOù les histoires vivent. Découvrez maintenant