4/ Considérations sur la richesse

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Jane a rattrapé la petite voleuse. La gamine sourit de toutes les dents qu'elle a encore. Elle est sale. Ne porte pas grand-chose sur elle et ne doit sans doute pas manger tous les jours à sa faim vu sa maigreur.

— Merci, jeune file, lui dit-elle en reprenant le sac.

Mais la gamine ne lâche rien.

— Je te donne ça. Et je propose de t'acheter un petit pain en plus, dit Jane en lui présentant une pièce.

— Fourré ? demande la gamine.

— Un petit pain fourré. Marché conclu ?

— Ok, dit la gamine en empochant la pièce.

— J'ai peut-être autre chose pour toi, dit alors Jane.

Est-ce le plaisir de reprendre possession de son sac de voyage, ou la joie d'être enfin rue Prior ? Elle ne saurait dire. Quoi qu'il en soit, Jane a pitié de l'enfant des rues. Elle entrouvre son sac et en extirpe un bout de tissu coloré. Elle en enveloppe aussitôt les épaules de la fillette qui se tortille aussitôt.

— Merci, m'dame, mais faut pas.

— Pourquoi ? C'est juste un châle. Il te tiendra plus chaud que cette guenille que tu portes.

— Oui, mais ma guenille, personne ne viendra me la voler.

— Pas faux, dit Jane en remettant le châle dans son sac de voyage.

— Bon. On va chercher le pain fourré...

— Oui. Il doit bien y avoir un marchand...

— Je sais où aller... s'écrie la fillette en tentant d'entraîner Jane à sa suite.

Mais la jeune fille rechigne. Elle ne veut pas quitter la rue Prior. Pas avant d'avoir vu la blanchisseuse.

— Je te donnes une pièce de plus et tu vas te l'acheter seule.

— Non ! Il ne voudra pas me le vendre ! Il va dire que je l'ai volée, ta pièce !

Jane regarde la gamine un peu interloquée. Qu'est-ce que c'est que ce marchand qui ne veut pas vendre sa marchandise ! Qu'importe d'où vient l'argent ! Ce ne sont pas ses affaires !

— Bien... Heu... Comment t'appelles-tu ?

— Jo

— Jo ?

— Joséphine ! Mais c'est moche comme nom ! Alors c'est Jo !

— Joséphine était le prénom d'une impératrice. Mais si tu préfères un prénom de mauvais garçon. Pas de problème pour moi ! Très bien, dit Jane en souriant. Je vais t'accompagner. Mais j'espère que ça n'est pas loin. Je ne veux pas me retrouver avec d'autres ennuis. Ça suffit pour aujourd'hui ! Tu comprends ?

— Oui. C'est juste au coin.

— Alors, allons-y, dit Jane en lui prenant d'office sa petite main glacée. Tu pourrais mettre le châle juste pour m'accompagner.

La gamine s'arrête pour réfléchir et accepte finalement. Affublée d'un châle en laine coloré qui jure avec ses tristes vêtements, elle avance fièrement aux côtés de cette drôle de jeune fille aux allures un peu masculines avec son long manteau de voyage.


Lady Stratton voit passer la jeune femme avec la gamine à ses côtés. Brièvement, le regard argenté de l'inconnue croise celui de la marquise. Elle lui sourit, et c'est comme si un soleil avait percé le gris du ciel et balayé la saleté de la rue. C'est chaleur inattendue rend Eugénia Stratton heureuse sans qu'elle ne puisse se l'expliquer. Elle ne connaît pas cette inconnue. Ne la reverra sans doute jamais. Mais ce qu'Eugénia vient de voir la conforte dans l'idée que dans cette ville, il existe un monde sans superficialité fait de bienveillance, peuplé de personne comme cette jeune femme qui, malgré ses petits moyens, vue sa mise simple, essaient de faire de bonnes choses pour autrui. Ça la rassure et ça l'attriste tout à la fois, car elle le découvre grâce à des gens de peu. Elle n'a encore jamais rencontré ce genre de comportement dans la société qu'elle fréquente. Pas de manière sincère en tout cas. Et elle le regrette. Elle le regrette réellement.

— Allez-y, M. Bunt. Rentrons.

— Bien, Lady Stratton.


— Tu l'as vue ?

— Qui ?

— La belle dame qui nous regardait.

— Ah ! Oui. Tu crois qu'elle nous regardait ? dit Jane en payant le marchand de petit pain qu'elle fusille du regard.

— Oui. Une dame riche sans doute.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Ben, elle a son propre fiacre et puis, elle avait un chapeau avec de belles plumes.

— Un fiacre et un beau chapeau... et bien ! Elle en a de la chance ! Mais un fiacre et un beau chapeau, ça n'est pas un petit pain fourré... et le plaisir qu'il procure, non ?

— Cha ch'est chur... dit la fillette en mâchant avec avidité l'énorme bouchée qu'elle vient de croquer.

L'éducation de Jane ShawOù les histoires vivent. Découvrez maintenant