24/ Le piège de ses yeux

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Le Comte grimpe rapidement pour empêcher la fuite de la visiteuse indiscrète. Il parcourt la coursive, mais en s'arrangeant pour ne lui laisser aucune autre possibilité que de se rencogner dans son petit coin. Puis il s'approche, prend un atlas, et pour l'ouvrir, il l'appuie sur la rambarde qui ceint la coursive d'élégants feuillages de métal.

Il tourne alors la tête vers la jeune fille qui se tient parfaitement immobile, accroupie entre les rayonnages de livres et le fauteuil qui la dissimule aux yeux de son frère. Les grands yeux verts de Camilla le fixe sans peur. Il voit même un rien d'effronterie dans ce regard. Comme si elle le mettait au défi de la dénoncer. Il se contente de l'observer avec un demi-sourire.

Une peau pâle sans imperfection. Un visage d'un ovale parfait. Une bouche aux lèvres pleines et bien dessinées. Des pommettes hautes. Des cheveux blonds retenus simplement par un ruban sombre qui n'empêche pas quelques mèches de se rebeller et de venir chatouiller ses joues ou ses oreilles. Reste, sans doute de la bagarre de coussins avec son frère. Elle est charmante. Mais pas que. Il y a dans son attitude la promesse d'affrontements sans fin et de discussions enflammées.

Elle porte une robe qui ne se prête pas à des jeux de cache-cache. Dans sa position, Grisham a une vue plongeante dans son décolleté qu'il juge prometteur.

Camilla surprend le regard du Comte Grisham sur sa poitrine. Elle se met aussitôt à rougir. Mais pas de honte. Elle est furieuse de l'attitude de cet homme qui profite de la situation pour la reluquer sans vergogne. D'un autre côté, cela dénote qu'il ne la prend pas pour une enfant et ne la considère pas comme telle, ce qu'elle apprécie secrètement. Et puis, il ne la dénonce pas. Étrange situation, en vérité.

Il sourit plus largement alors qu'elle cherche un moyen de s'extraire de ce piège dans lequel elle s'est mise seule. Tout ça par pure curiosité. Elle aime les récits de voyage, et en passant près de Grisham quelques instants plus tôt, elle a remarqué son teint halé par le soleil, ses cheveux blonds décolorés par la mer, et surtout, son odeur. Un mélange d'embrun, d'océan déchaîné et de tabac blond. Elle a deviné qu'il venait du port. Un marin donc. Un Comte aussi. Donc un voyageur. Et qui dit voyageur, dit récits palpitants parfois dans des contrées sauvages.

Elle a obtenu ce qu'elle espérait puisque Grisham revient des Indes et qu'il a effectivement raconté de nombreuses anecdotes. Et il les a bien racontées, elle en convient, mais cela vaut-il l'humiliation qu'elle est en train de subir ? Elle commence à se dire que non, et envisage de se montrer. Tant pis pour les remarques désobligeantes que son frère ne va pas manquer de lui faire. Sans compter la punition qui suivra de la part de sa mère.

Elle entreprend de se redresser, mais Grisham se penche brusquement vers elle et bloque son mouvement d'une main posée sur son bras. Il tient l'atlas devant lui, ce qui fait que Marcus, s'il avait eu la moindre intention de le regarder, n'aurait pas réellement pu voir ce qu'il faisait là-haut. Malin.

Le visage du Comte est à quelques centimètres de celui de la jeune fille. Camilla est hypnotisée par son regard à l'iris si sombre qu'il se confond avec la pupille. Le contact de sa main posée sur sa peau l'électrise. Puis, il se penche un peu plus et effleure de ses lèvres celles de Camilla en murmurant un « Bientôt » inattendu.

Ça n'est pas un baiser. C'est un souffle. Une plume qui ne fait que passer. Une promesse. Sa main caresse sa joue avant qu'il ne se relève brusquement et lui tourne le dos pour redescendre.

Camilla respire à peine. Elle est figée. Elle ignore ce qui vient de se passer. Elle ignore ce que cela veut dire. La seule chose qu'elle sait, c'est qu'au moment où leurs lèvres ont été si proches, elle a souhaité ardemment un vrai baiser de cet homme. Et c'est la première fois qu'elle désire quelque chose de ce genre.

Elle profite du moment où son frère raccompagne Grisham à la porte pour s'enfuir jusque dans sa chambre. Allongée sur son lit, elle éclate de rire sans pouvoir contrôler quoi que ce soit. Elle qui pensait que le monde était peuplé d'idiots ou d'arrogants, elle vient de rencontrer un homme passionnant. Un aventurier. Un aventurier qui l'avait vu elle et l'avait « presque » embrassée. Un aventurier qui lui avait fait une promesse. « Bientôt »

L'éducation de Jane ShawOù les histoires vivent. Découvrez maintenant