66/ Décider de son destin

1.8K 240 6
                                    

— Mais qu'avez-vous fait à ce pauvre jeune homme, ma chère ? lance Lady Stratton légèrement inquiète

— J'ai mis certaines choses au clair.

— Et bien, je crois qu'elles ne lui paraissent pas si claires, ces choses, voyez-vous, répond Eugénia en souriant et en se portant au-devant du comte qui semble enragé.

— My Lord, quel plaisir ! Je suis heureuse de vous avoir vu danser avec ma chère fille. N'est-elle pas resplendissante ?

— Resplendissante ? Je n'aurais pas employé ce mot pour décrire... mais il n'achève pas sa réplique à peine murmurée.

— Mon frère ! J'espérais que vous me présenteriez, mais je vois que si je ne fais rien moi-même...

Lady Stratton sourit à l'audacieuse jeune fille qui tient le bras du Comte Grisham. Cette petite poupée blonde comme elle, vient d'empêcher son frère de commettre une bévue en public, car un certain nombre de personnes semblent particulièrement attentives à ce qui se joue ici. Comme si elles avaient senti l'odeur du sang.

— J'en conclue que vous êtes l'une des sœurs de Lord Carver-Hill ?

— Camilla Carver-Hill, marquise, répond la jeune fille en tendant sa main que Lady Stratton prend dans les siennes.

— La plus jeune des sœurs, donc. Vous êtes ravissantes, ma chère enfant. Et votre cavalier est... inattendu. Comte, je vous croyais parti en Amérique ?

— J'en suis revenu ce soir.

— Et déjà en plein bal !

— Je n'aurais raté pour rien au monde l'entrée de votre fille, my lady.

— Oui. Ma fille. Lady Jane. Voici le Comte Fergusson Grisham, et sa cavalière, La jeune Camilla Carver-Hill.

— Je suis enchantée de faire votre connaissance, dit Jane avec un joli sourire sincère.

— Et moi donc ! s'exclame Camilla. Vous êtes l'attraction de la saison qui s'annonce !

— Je ne suis pas sûre d'apprécier une telle renommée. Je ne suis pas friande des ragots et autres murmures malveillants. Je ne suis que trop consciente de ce qui se dit déjà à mon sujet, dit calmement Jane en reprenant une posture un peu froide.

— Oh, je ne voulais pas... commence Camilla rougissante.

Jane aime bien l'œil pétillant de Camilla et le demi-sourire de Grisham. Elle les trouve amusants tous les deux. Ils forment un couple pour le moins inhabituel. Elle ne veut en aucun cas les blesser, même si le Comte l'a passablement énervée.

— Je ne disais pas cela pour vous, mademoiselle Carver-Hill. Je suis sûre que j'apprécierai de vous retrouver lors des mondanités qui me seront imposées, dit Jane en se penchant vers elle en souriant.

Puis son sourire s'efface, son regard redevient dur et se pose sur le Comte. Elle ne peut s'empêcher de remarquer la main de Grisham posée sur l'épaule de Marcus qui ne se départit pas de son air froid et lointain.

— Que diriez-vous de prendre le thé d'ici demain dans mon jardin d'hiver, Comte Grisham ? Et Mlle Carver-Hill pourrait se joindre à nous ? Elle pourrait discuter avec Jane pendant que nous discutons nous-mêmes des affaires qui vous ont tenu occupé si loin de nous. Peut-être que Lord Carver-Hill daignera se joindre à nous également ? À moins qu'il n'ait d'autres obligations ? dit alors Lady Stratton avec un enthousiasme un peu forcé.

— Je viendrai. Il faut un chaperon à ma sœur.

— Votre mère ne peut s'en charger ? Je serai ravie de la voir et de lui présenter ma fille...

— Nous savons bien qu'il n'en est rien, Lady Stratton, dit froidement Marcus en faisant un salut rigide avant de les quitter en entraînant Grisham et Camilla à sa suite.

— Nous pouvons dire que ça ne s'est pas si mal passé... Mais de grâce, ma chère, dorénavant, lorsque vous décidez d'attaquer, prévenez-moi ! Sinon mon pauvre cœur fatigué ne saurait résister...

— Je suis navrée, madame. Je ne pensais pas qu'il chargerait bille en tête... Il est si imprévisible.

— Un homme amoureux l'est toujours.

— Est-ce à dire que s'il ne l'était pas, cela prouverait qu'il n'est pas amoureux ?

— Non, ma chère. Mais admettez que vous le faites tourner en bourrique... ne vous étonnez-donc pas qu'il devienne fou...

Jane sourit.

— Et cessez de sourire ainsi ou nous allons crouler sous les demandes en mariage dès demain.


Jane n'arrive pas à fermer l'œil. Elle est électrisée par cette soirée qui s'achève à peine. Elle a dansé toute la soirée. La valse avec Carver-Hill a lancé le signal pour tous les possibles prétendants. Elle en est encore étourdie. Mais il faut qu'elle dorme. Elle a promis d'être plus raisonnable demain lors du thé. Il faut qu'elle soit plus forte.

Elle a ôté sa somptueuse robe et l'a posée délicatement sur un fauteuil. Pas question pour elle de devenir une de ces jeunes écervelées qui ne savent pas le travail que donne leur étourderie et leur stupidité. Une telle robe requiert des soins. Elle compte la reporter.

La jeune femme va jusqu'à sa fenêtre, simplement vêtue de ses bas et de sa fine chemise de dessous. Un léger voile vaporeux qui ne cache pas grand-chose de sa féminité. Elle défait la lourde tresse qui formait une couronne autour de sa tête et libère ses cheveux.

C'est alors qu'elle voit une silhouette sur le trottoir en face de la maison. Un homme se tient à la lisière du parc. Il s'avance et sort de l'ombre. Lord Marcus Carver-Hill se tient là. Immobile désormais. Il la fixe. Depuis quand est-il là ?

Elle le regarde également, consciente de sa tenue et de ce qu'il peut voir d'elle. Alors, sans réfléchir, elle fait tomber lentement les bretelles sur son bras et laisse glisser sa fine chemise au sol. Il ne bouge pas pendant une longue minute. Puis, il recule et disparaît.

L'éducation de Jane ShawOù les histoires vivent. Découvrez maintenant