31/ Stratagème et détournement de l'attention

2.1K 274 9
                                    

— Lady Stratton je ne peux m'empêcher de constater que plus les années passent, plus vous rajeunissez ! Quel est votre secret ? Seriez-vous l'une de ces créatures qui peuplent les romans sombres et mystérieux que lit ma sœur cadette ? s'exclame-t-il avec un enthousiasme feint mais parfaitement crédible.

— Un vampire ? Dieu du ciel ! Non ! Mon cher ! C'est que j'ai auprès de moi une jeunesse qui me donne une infinie satisfaction.

— Une jeunesse ?

— Ma dame de compagnie. Vous ne pouvez pas ne pas l'avoir remarquée ! Elle est si ravissante, dit Lady Stratton en entrant dans le jeu de Lord Carver-Hill.

— La jeune femme qui vous accompagnait tout à l'heure est votre dame de compagnie ?

— Oui, mon cher. Vous l'ignoriez ?

— Je ne m'intéresse guère à ce genre de détail, madame.

— Quel dommage ! Elle vous plairait. Elle est si cultivée et intelligente. En plus d'être ravissante bien sûr...

— Mais c'est une jeune fille de bonne famille au moins, demande Lady Carver-Hill inquiète de savoir qu'une femme du bas peuple se promène dans la salle de bal.

Elle en veut déjà à Lady Stratton de leur imposer son personnel à une réception de premier ordre. Comme si elle n'avait pu s'en passer ! Vraiment ! Cette lady se permet bien trop de choses sans que personne ne trouve à y redire.

— Oh. Oui. Mais les aléas de la vie en ont fait une orpheline désargentée.

— Vous l'avez prise sous votre aile. Comme c'est généreux de votre part ! dit alors Lady Carver-Hill avec un sourire forcé.

Marcus voit bien que faire un compliment à Lady Stratton lui coûte beaucoup. Il aimerait vraiment connaître le contentieux qui les oppose toute les deux depuis si longtemps.

— Et où est donc cette merveille, demande Marcus d'un ton badin en souriant.

— Oh ! Je crois qu'elle est partie prendre un peu l'air. Il fait si chaud qu'elle se trouvait légèrement indisposée.

— Tant pis pour moi alors. Je pensais pouvoir l'inviter à danser. L'une de mes sœurs m'a fait promettre de ne laisser aucune jeune fille sans cavalier. Je m'épuise à la satisfaire. Et je vois que Mlle Swift semble trépigner d'impatience, dit-il en s'inclinant avant de quitter les deux femmes.

Si Lady Carver-Hill a déjà porté son attention à autre chose, Lady Stratton, elle, n'est pas dupe. Elle suit des yeux le lord, le voit échanger quelques paroles avec un jeune homme, qui ensuite se dirige vers la fameuse Mlle Swift sans tarder, tandis que Marcus disparaît par une des portes-fenêtres ouvertes. Elle sourit et prend congé poliment de son ennemi de toujours, Lady Carver-Hill. Elle a des choses plus importantes à faire que lui imposer sa présence.


Jane respire enfin. Lady Stratton lui a demandé avec insistance de sortir un peu pour se rafraîchir. Sans doute devait-elle avoir le teint trop coloré à cause de la chaleur étouffante de la salle de bal ? C'est tout à fait possible. En réalité, la demande de Lady Stratton, aussi étrange soit-elle, l'arrangeait. C'est pourquoi elle a obéi sans faire de manière. Toute cette foule, cette animation...

Jane prend appui sur une rambarde qui borde la terrasse près des escaliers qui mène aux jardins baignés d'obscurité. Elle sourit en entendant quelques murmures monter jusqu'à elle. D'autres profitent de cet espace laissé à la nuit pour échanger des baisers et peut-être plus.

La jeune femme se déplace légèrement pour ne pas être témoin de ce batifolage et pour que personne ne la voit. Dans l'ombre, un mètre après la dernière porte-fenêtre, elle hume l'air glacé de la nuit. Elle ne va pas tarder à avoir froid. Mais la différence de température est pour le moment un vrai bonheur. Tout comme le calme et la solitude. Lady Stratton lui a joué un bien mauvais tour ne l'amenant avec elle. Elle ne s'y laissera pas reprendre.

Toute cette attention lui déplaît. Sans compter qu'elle a surpris le regard de Carver-Hill posé sur elle à plusieurs reprises. Rien que d'y penser, elle frémit. On l'aurait dit affamé ! Pourquoi ne veut-il pas comprendre que ce qui se passe entre eux est déraisonnable ?

Fort heureusement Lady Stratton a empêché l'échange d'un vrai baiser. Un baiser consenti. Ils sont donc restés sur l'autre. Le baiser volé. Et la gifle. Elle a eu raison d'envoyer ce billet pour clarifier la situation, et de ne pas répondre à celui qu'il lui a fait parvenir par la suite. Celui où il la priait de le rencontrer. Celui-là, Lady Stratton n'en a rien su.

S'il faut qu'elle soit celle qui brise le lien ténu qui unit leurs deux cœurs, alors elle accepte, car elle a bien plus à perdre dans cette histoire. Quel que soit la douleur que cela lui cause, ou quoi qu'en dise Lady Stratton. Jane s'étonne de sa propre force de caractère face à ce qui arrive. Mais est-ce vraiment de la force que de fuir une situation périlleuse plutôt que de l'affronter ?

— Vous ne devriez pas rester ici. Vous allez attraper froid, dit alors une voix grave non loin d'elle.

L'éducation de Jane ShawOù les histoires vivent. Découvrez maintenant