49/ De l'amour, du désir et du mariage

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Le dernier soir de son séjour. Jane se couche triste de devoir quitter ses amis le lendemain. Mais le fiacre de Lady Stratton sera là en fin de matinée. Pas de retard. Pas de délai. Eugénia a des choses à régler à Londres. Sa vie est là-bas. Celle de Jane est comme son cœur, elle oscille entre deux mondes, entre deux précipices.

Après deux coups portés à la porte, la lourde silhouette d'Emma apparaît sur le seuil.

— Que se passe-t-il Emma ? Tu as un souci ?

— Non. Je voudrais dormir avec toi, cette nuit.

— Viens vite te mettre au chaud, dit Jane en ouvrant la couverture pour laisser son amie se glisser près d'elle.

— Dis-moi, la « presque princesse »...

— Arrête avec ça ! sourit Jane

— Pourquoi ? Je trouve ça très approprié, moi... mais ne m'interrompe pas, s'il te plaît. Y-a-t-il un « presque prince » dans ta vie, Jane ?

Jane marque un temps d'arrêt avant de répondre. Doit-elle parler de Marcus ? Sans aucun doute. Elle le doit. Parce qu'Emma a toujours été son amie, et que son avis a toujours beaucoup compté pour Jane.

— En fait... Pour tout te dire... Il y a même un « prince ».

— Pardon ! ça n'est pas vrai, Jane ! Et tu ne m'as rien dit pendant 10 jours ! Jane !

— Je savais que tu en ferais toute une histoire ! Et je voulais ménager la femme enceinte que tu es...

— Tu as intérêt à tout me dire illico presto ! Un prince...

— Plus exactement un lord. Un lord assez déterminé.

— Assez déterminé pour quoi ?

— Pour faire de moi une femme perdue.

— Il veut que tu deviennes sa maîtresse ! Jane ! Tu n'as pas...

— Non, Emma. Je n'ai pas succombé... Mais dieu que c'est difficile ! Il est si...tentant ! Tu le verrais avec ses yeux vert intense et son petit air renfrogné quand il est contrarié. Et quand il sourit ! Sainte Marie, mère de Dieu ! Il est à se damner ! Et ce corps...

— N'en jette plus ! C'est assez ! s'exclame Emma en gloussant. Je ne vois là que la tentation de la chair... et ton cœur ?

— Le problème est là. S'il n'y avait que du désir, le problème serait facilement résolu. Quel que soit sa puissance, il ne résiste pas à l'éloignement, au travail, à l'obstination et au silence de celui qui le refuse. Mais mon cœur s'affole aussi quand cet homme est près de moi. Je le sens. Je sens qu'il ne cherche qu'une chose : lui. Me réfugier dans ses bras le contente. Le sentir apaiser son courroux et sa douleur me comble... Je ne peux pourtant pas parler d'amour ! Je le connais si peu. Je ne sais pas quoi faire.

— De toute façon, c'est un lord, et tu n'es pas de son milieu social. Tu lui as dit que tu ne pouvais pas lui céder ?

— Oh que oui ! Plusieurs fois. Et tu sais ce qu'il a répondu ? Qu'il n'abandonnerait pas. Et il n'abandonne pas ! Bon sang ! Il n'abandonne pas ! Et la situation devient de plus en plus périlleuse ! Parce que, Dieu qu'il me fait envie, cet homme !

— Jane ! Je te croyais plus raisonnable !

— Mais je suis raisonnable ! Extrêmement raisonnable, même ! Personne ne résisterait mieux que je ne le fais, je t'assure. Mais la détermination de cet homme, la patience qu'il a... rend toute tentative de lui résister épique ! Je t'assure !

— Il va falloir être plus forte encore. Ou bien te marier. Il n'y a pas un gentil garçon qui aurait attiré ton attention ?

— Je ne vais pas me marier pour échapper à ce lord. D'autant qu'il n'est absolument pas sûr que le procédé arrête sa quête. Et puis, sincèrement, je n'ai pas hâte de me marier.

— Pourquoi ? C'est agréable d'avoir quelqu'un sur qui compter. Quelqu'un de tendre qui vous rassure. Quelqu'un d'attentionné.

Jane a soudain un doute. Le ton employé par son amie et loin d'être convainquant. Elle pensait qu'Emma s'était mariée par amour. Mais en entendant son amie parler du mariage sans jamais prononcer le mot « amour », elle se demande maintenant si c'est le cas. Emma a toujours été très discrète quant à ses sentiments.

— Et l'amour ? La passion ? ose-t-elle.

— Il y en a aussi, dit Emma sans épiloguer, mais le ton est sans appel.

Jane est triste pour elle. Elle espère qu'elle a, de temps à autre, le droit de ressentir du plaisir. Que son cœur bat la chamade et s'affole aussi. Elle comprend mieux la remarque aigrie d'Emma les premiers jours sur le fait que sa belle-famille ne la voyait que comme un ventre à féconder.

— Tu ne m'incites pas au mariage, Emma. Au contraire.

— Tu as pitié de moi, dit Emma sans la regarder.

— Non. Je suis un peu triste. Je pensais que Jack et toi, vous vous aimiez.

— Oh, mais il m'aime. Sincèrement. Je crois. Mais...

— Ça n'est pas ce que tu attendais.

— Non, dit-elle en soupirant. Il a de l'affection pour moi, mais nos étreintes sont brèves et décevantes. Quand il y en a. Il manque de ferveur. Notre relation me donne l'impression d'être mariée depuis des lustres... d'avoir basculé dans la routine tendre mais vide de sens.

— Moi qui croyais que tous les hommes étaient des lapins en rut...

— Oh ! Jane ! s'exclame Emma en rougissant.

— Bon, manifestement, ça n'est pas le cas. Peut-être que tu devrais lui montrer ce que tu voudrais qu'il fasse pour pimenter vos nuits... Tu te souviens du valet de ferme et de Rosa que nous avions surpris dans les foins juste rentrés... Dieu que nous avions ri ce jour-là.

Emma rougit jusqu'à la racine de ses cheveux. Elle se souvient parfaitement de ce jour où, toutes deux fillettes effrontées, elles avaient découvert ce qu'un homme fait à une femme pour avoir du plaisir et enfanter. Elles avaient ri, oui. Mais pas que.

Jane lui caresse la joue et l'enlace.

Non, la situation d'Emma n'accroît pas l'envie de mariage de Jane. Bien au contraire. Jane ne veut pas se retrouver dans la situation d'Emma. Elle veut ce que lui promettent les caresses de Carver-Hill. Et pas seulement occasionnellement. Elle, elle veut de la passion et de l'amour. Mais est-ce autorisé à une femme de sa condition ?

L'éducation de Jane ShawOù les histoires vivent. Découvrez maintenant