69/ Départ précipité

1.8K 230 4
                                    

Jane se sent mieux. Elle a avoué son amour à Marcus. Elle ne peut rien de plus. La balle est dans son camp désormais. Elle attrape une feuille de papier et commence à écrire à Emma. Il faut absolument qu'elle lui raconte ce premier bal en tant que « fille » de Lady Stratton. Et aussi cette étrange relation qu'elle a avec lord Carver-Hill.

Il est tard quand elle achève sa lettre. Le soleil descend sur l'horizon. Quelqu'un toque à la porte du boudoir.

— Oui ?

— Une lettre pour vous madame.

— Une lettre à cette heure ?

— Le messager attend une réponse.

— Pardon ? Mais que... commence Jane en décachetant le mot avec impatience.

Elle pense à tort qu'il s'agit du Comte. En réalité, le message vient de plus loin. De Falken. Elle lit les quelques lignes jetées à la hâte sur le papier. Emma. Le papier lui échappe des mains, et Jane se précipite dans sa chambre.

Lady Stratton n'est pas là ce soir. Elle rend visite à des amis. Elle n'a pas le temps de la prévenir.

En deux minutes, Jane a ôté sa robe et enfilé une tenue d'équitation masculine qu'elle a demandé récemment pour monter à cheval comme elle aime le faire et de manière moins « indécente » selon la marquise. Elle attrape son long manteau de voyage, et descend rapidement vers le messager que Mme martins a conduit à la cuisine pour qu'il puisse profiter d'un plat chaud avant de repartir.

— Mme Martins, vous préviendrez my lady qu'il me fallait partir au plus vite. Dites-lui que je suis en route pour Falken. M. Bunt, pourriez-vous préparer Walker ? Il est le plus robuste. Pour ce voyage, il me faut un cheval qui tienne la route. Et je vais avoir besoin de l'un de vos chapeaux.

— Mais mademoiselle... commence Mme Martins, vous ne pouvez pas partir comme ça... ce serait...

— Je sais, Mme Martins. Mais mon amie enceinte a des ennuis avec le bébé. Je ne peux pas attendre ici sans rien faire que l'on m'annonce le pire. Je dois la rejoindre au plus vite. C'était prévu mais pas de cette manière. J'enverrai un message dès mon arrivée.

Mme Martins n'a pas le temps de répliquer que Jane est déjà dans la cour sur Walker qui piaffe d'impatience. Le cheval aime sa cavalière, car il sait qu'avec elle il va galoper comme une bête sauvage et libre. Il ne sait juste pas à quel point.


Le messager, bien que fourbu, mène la danse. La route est encore embourbée par endroit, mais il sait où passer pour éviter aux chevaux de se rompre les jambes. Il galope aussi vite qu'il le peut. Il connaît l'urgence de la situation. Il ne s'est pas présenté, car la jeune lady ne lui en a pas laissé le temps, mais il est de la famille de Jack Jolister. Il sait l'inquiétude qu'Emma a fait naître chez son cousin depuis qu'elle est enceinte.

La nuit s'annonce froide, mais pas pluvieuse. Ce qui est une chance. Jane ne sait pas si elle va pouvoir tenir aussi longtemps à cette allure. Elle l'espère. Comme elle espère que Walker sera à même de la mener à bon port.


Lorsque Lady Stratton rentre tardivement dans la nuit et apprend la fuite de Jane, elle est atterrée. Pas seulement parce qu'il fait nuit et qu'elle est partie à cheval, mais aussi à cause des dangers qu'elle pourrait rencontrer sur la route. Jane ne se rend pas encore compte qu'en tant que future marquise, elle ne peut plus se permettre autant de liberté. Quelle folie de partir ainsi !

— Mme Martins, votre époux peut-il porter un message au Comte de Farmor au plus vite ? Que M. Bunt l'accompagne. Les rues de Londres ne sont pas sûres à cette heure.


L'intendant du Comte de Farmor réceptionne le message au milieu de la nuit avec mécontentement. Quand il voit le cachet de cire au dos, il hausse les épaules et pose le billet sur la console dans l'entrée avant d'aller se recoucher. Il lui reste une heure ou deux avant l'aube. Il ne compte pas les gâcher pour une lettre de femme.

Lorsqu'au petit matin, Marcus se lève, fatigué d'une nuit au sommeil agité, il prend le temps de se préparer soigneusement avant de descendre pour prendre un petit déjeuner. Il doit réfléchir à ce qu'il doit faire concernant Jane.

Il ne voit le billet abandonné qu'autour de 10 heures, quand il s'apprête à sortir prendre l'air pour s'éclaircir les idées. Il le parcourt, hurle après son intendant en lui signifiant son congé, ce que la cuisinière approuve secrètement, car elle n'a jamais aimé cet arrogant valet qui toise le reste du personnel, trop plein de son importance. Puis Marcus prend un cheval et se précipite vers la résidence de Lady Stratton.

Il se présente au domicile de marquise passablement échevelé, mais il n'en a que faire.

— Madame, je suis navré. Je n'ai eu le message qu'il y a peu. Mon valet. Cet imbécile incompétent ne me l'a pas transmis cette nuit... ni ce matin... il a fallu que je le trouve moi-même ! lance Marcus quand il est enfin introduit dans le salon de la marquise d'Ormondis.

Marcus est frappé par le visage de Lady Stratton. Elle paraît brusquement avoir vieilli. Il prend conscience de son inquiétude. De son inquiétude et de son attachement pour Jane.

— C'est trop tard, à présent. Elle doit être arrivée. Je l'espère. Il faut attendre son message. Oui. Il faut attendre son message, dit-elle les yeux dans le vague et les mains serrées sur ses genoux.

Marcus se demande si elle a dormi et si même elle s'est changée depuis la veille. Il recule de deux pas et voit l'intendante dans l'embrasure de la porte. Elle aussi parait inquiète. Marcus lui fait signe d'entrer.

— Occupez-vous d'elle, murmure-t-il. Je vais partir pour rejoindre Mlle Stratton.

— Non. Carver-Hill ! Vous n'irez nulle part ! Vous restez ici ! Cela ne servirait à rien ! s'exclame Eugénia qui a entendu.

— Mais que s'est-il passé ?

— Je crains un drame qui va la ravager, monsieur. Si le pire arrive, Jane ne sera plus la même après cela. Mais vous ne lui serez d'aucune aide là-bas. Au contraire.

— Mais de quoi parlez-vous ?

— L'amie de Jane. Celle qu'elle est allée voir durant les fêtes. Elle est enceinte et n'allait pas bien. Je lui ai interdit de rester auprès d'elle parce que je voulais mettre mon plan à exécution la concernant. Je l'ai convaincue que des lettres suffiraient à faire oublier sa tristesse à son amie... Je m'en veux. J'ai été égoïste. Encore...

— Madame. Cessez de vous blâmer. Je crois que la seule personne à ne jamais l'être est Jane elle-même. Je vais attendre avec vous, finit-il en s'asseyant près de la marquise tandis que l'intendante se retire.

L'éducation de Jane ShawOù les histoires vivent. Découvrez maintenant