34/ La danse n'est pas finie

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Marcus Carver-Hill se tient près d'elles. Il ne sourit pas, mais tend sa main vers Jane, indiquant ainsi qu'il veut l'inviter à danser. Elle ne peut refuser à moins de provoquer la stupeur parmi les invités. C'est un honneur que lui fait le lord, elle, la simple « dame de compagnie ». Elle accepte donc la main tendue et glisse jusque sur la piste de danse à ses côtés. Elle remarque les blessures sur ses jointures, mais n'en fait pas cas.

— Pourquoi faites-vous cela ? demande-t-elle dès que les premières mesures s'envolent.

— Je ne vais pas abandonner aussi vite, Mlle Shaw.

— Pourquoi ? Qu'espérez-vous obtenir ? Chercheriez-vous à vous venger de moi ?

— Pour quelle raison chercherais-je à me venger ? Vous ne m'avez rien fait. Sauf peut-être me perdre, mais vous n'y êtes pour rien. Enfin pas consciemment. Mais je vais répondre à votre première question : pourquoi ? Parce que je ne crois pas être capable de vous oublier. Je manque de force de caractère.

Jane esquisse un sourire, mais cherche à le cacher.

— Je l'ai vu.

— Quoi ?

— Votre sourire. Il est comme un soleil pour moi.

— Vous êtes un idiot.

— Sans aucun doute possible. Un idiot, fou de vous.

— Il faudra bien vous résoudre à m'oublier.

— Pourquoi ?

— Parce que vous n'avez aucune autre solution.

— Je vais en trouver une.

— C'est stupide ! Je ne suis sans doute pas la première femme que vous désirez ! Cela vous passera ! Je ne suis qu'une femme parmi tant d'autres.

— Non, Jane. Vous êtes LA femme, répond-il en la fixant droit dans les yeux pour qu'elle comprenne qu'il est sérieux.

Et elle le comprend. Elle le comprend parce qu'elle n'est pas loin de penser qu'il est L'homme. Mais sa raison rechigne encore. Parce que si elle est vraiment LA femme, elle est surtout UNE femme. Une femme qui veut survivre malgré tous les obstacles qui se dressent sur son chemin. Une femme qui ne peut pas encore tolérer d'être mise en danger par ses sentiments. Et encore moins par ses désirs.

— Cessez de me regarder ainsi et de me broyer la main.

— C'est que je me retiens de ne pas vous embrasser en plein milieu de cette fichue valse qui n'en finit pas.

Elle le fixe un instant, elle aussi. Elle voit sa souffrance. Réelle. Physique. Il souffre à cause d'elle. De son désir d'elle. Elle n'a jamais eu un tel pouvoir sur qui que ce soit. La tentation d'en jouer est trop forte. Elle se venge du propre pouvoir qu'il a sur elle. Ici, il ne peut rien faire.

— Vous n'aimez pas danser avec moi ? minaude-t-elle ingénument en souriant.

— N'en rajoutez pas, Mlle Shaw ou je ne réponds plus de rien.

Elle lui offre un magnifique sourire sur les dernières notes de la valse et lui fait une petite révérence avant de rejoindre Lady Stratton qui l'attend avec un petit air narquois sur le visage.


— Je crois que vous êtes comme une drogue pour lui. Un alcool puissant, un parfum enivrant.

Jane regarde Lady Stratton avec étonnement. Le fiacre les ballote assez vigoureusement. M. Bunt, le cocher, a hâte de rentrer manifestement.

— Je ne comprends pas de quoi vous parlez, my lady, dit Jane qui, ne sachant rien de la conversation qu'Eugénia a eu avec Carver-Hill, espère sincèrement que sa maîtresse a lancé cette phrase comme ça.

— Allons, Mlle Shaw ! Pensez-vous sincèrement que je n'ai rien vu ?

La jeune femme est ennuyée. Elle ne sait que répondre. Elle n'a jamais eu de conversation réellement intime avec qui que ce soit. Et certainement pas avec celle qui, même si elle se targue de vouloir être son amie, est surtout son employeuse. Les petites réparties cinglantes ou amusantes qu'elles échangent parfois n'ont aucune réelle conséquence. Là, il s'agit d'autre chose.

— Jane, dit doucement Lady Stratton à la jeune femme en lui prenant les mains qu'elle tenait serrées sur ses genoux sans s'en rendre compte. Jane. Je sais ce que vous vivez. Je le sais parce que je l'ai moi-même vécu. Il y a longtemps.

La jeune femme tourne un visage triste mais curieux vers sa lady. Le temps des confidences est-il arrivé ?

L'éducation de Jane ShawOù les histoires vivent. Découvrez maintenant