54/ Se vouloir combattante...

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Jane a compris que Stevenson est un gentleman propriétaire. Il n'a cependant pas assez de relations - et n'en désire pas plus – pour « perdre » son temps à Londres. Il est honoré d'accueillir une marquise et sa « protégée », même s'il regrette de ne pouvoir offrir un peu plus qu'une maison entretenue au minima depuis plusieurs jours.

Assez perturbée par les regards moqueurs qu'il lui lance et parce qu'elle souhaite se changer pour éviter d'attraper froid, Jane a rejoint sa chambre, laissant la marquise avec son hôte dans la bibliothèque. M. Bunt, leur cocher a monté leurs malles avant de rejoindre les cuisines.

Une fois changée, Jane s'avance dans le couloir, mue par la curiosité. À l'étage, il n'y a que des chambres et des salles d'eau. Une nursery vide également. Au rez-de-chaussée, hormis le grand salon où elles ont été accueillies, les cuisines qu'elle a traversées en rentrant de l'écurie, la bibliothèque rattachée à un bureau, elle découvre une ancienne salle de réception transformée en... salle d'entraînement physique ! Il y a même des râteliers d'armes diverses et un emplacement délimité par des tapis pour le combat à main nue. Elle vérifie que personne ne la voit et entre en laissant la porte entrouverte.

Elle avance dans cet endroit singulier qui aurait fait rêver son père. Elle effleure des doigts les espaliers de bois qui ont été ajoutés sur deux mètres de mur sans considération pour la tapisserie. Le sac de sable pendu à une chaîne depuis le plafond au moulures définitivement ruinées. Les tapis, les bancs. Une serviette est abandonnée sur un fauteuil qui porte aussi une cuvette avec des bandages tachés de sang. Sir Stevenson semble s'entraîner de manière brutale.

Elle s'arrête devant le râtelier des armes blanches. Elle en admire la collection. Certaines épées semblent anciennes et émoussées. Jane prend un fleuret dont elle connait le maniement et fait quelques mouvements. Elle apprécie le sifflement qui fend l'air. Elle sourit en pensant à M. Robertson. Lui aussi aurait adoré cet endroit.

— Si vous voulez être réellement efficace, il faudra raffermir votre prise et casser moins votre poignet, dit alors Stevenson qui se tient juste derrière elle et qui accompagne ses paroles de gestes, en lui manipulant le bras qui porte l'arme pour la guider.

Elle se laisse faire une seconde, surprise. Puis s'écarte brusquement, consciente de l'inconvenance de sa position. Face à lui, elle tient le fleuret pointé vers son torse.

— Un combat ? demande-t-il en penchant la tête un demi-sourire aux lèvres.

Puis, il prend un fleuret et se met en position. Elle fait le salut de début de combat comme lui. Puis elle se met également en position. Il trouve amusant que cette jeune fille veuille se mesurer à lui. Elle doit se douter qu'il est entraîné, et donc forcément plus fort qu'elle. Il ne connaît aucune demoiselle de compagnie qui sache se battre. Même si elle a peut-être eu des leçons enfant. Ce dont il doute. Il est donc intrigué par son attitude.

Ils font quelques passes. Elle se défend plus qu'elle n'attaque. Puis brusquement, elle fait un mouvement qu'il ne s'attendait pas à voir ici et le touche au bras. Cette fille ne connaît pas l'escrime simple. Elle connaît l'escrime de guerre !

— Fille de soldat ? demande-t-il en rectifiant sa position.

Elle ne dit rien mais sourit largement. Elle a bénéficié de l'effet de surprise. Ça ne se reproduira pas. D'ailleurs, il fait une touche quelques instants plus tard. Mais elle ne se départit pas de son sourire. Elle s'amuse.

Elle repousse avec brio l'attaque suivante. Mais il insiste et l'accule à un coin de la pièce. Elle agit alors avec beaucoup de créativité. Elle feinte à droite et s'élance à gauche avec souplesse en glissant sur le parquet. Puis elle se rétablit sans problème dans son dos et touche.

Il éclate de rire et lui arrache une autre touche, car son point faible est dans la contre-attaque. À moins qu'elle ne le laisse la toucher pour ne pas l'humilier. Il plisse les yeux et n'atténue plus ses coups. Il veut voir ce qu'elle a vraiment dans le ventre.

Elle se bat vaillamment. Son sourire est là, mais il sent les efforts qu'elle fait pour tenir le rythme. Elle a été entraînée par un soldat, c'est sûr, mais elle n'a jamais connu la guerre. L'endurance est son autre point faible. Il finit par l'adosser à un mur, lames croisées entre leur deux visages extrêmement proches.

— Vous êtes étonnante, Mlle Shaw, mais je crois que vous allez devoir me concéder la victoire.

— Vraiment ? Nous sommes à égalité, je crois ? Le premier qui fait la prochaine touche, gagne.

— Ça me va, dit-il en renforçant son effort pour la faire ployer.

Mais elle sourit plus largement. Elle lui donne alors un léger coup sur le bras de sa main libre, ce qui le surprend et lui fait desserrer son étreinte. Elle en profite pour s'échapper, et avant qu'il ne se soit entièrement retourné pour parer l'attaque, elle touche.

Elle n'a pas le temps de jubiler qu'elle le voit foncer vers elle, frapper un coup du plat de la lame sur sa cuisse, ce qui la déstabilise à son tour, et lui fait baisser sa garde. Il passe sans difficulté derrière elle et enroule un bras autour de sa taille, l'autre lui immobilisant l'arme.

Ainsi prise au piège, elle ne peut plus rien faire.

— Quand on ne joue pas selon les règles, il faut accepter que les autres aussi fasse des écarts... lui murmure-t-il à l'oreille alors qu'il desserre ses bras, mais ne la libère pas.

Stevenson en profite pour sentir son odeur toute féminine mêlée à la sueur produite pas l'effort. Il s'en imprègne. Elle ne bouge pas. Elle respire vite. La fatigue ? Autre chose ? Il bouge pour la mettre face à lui et la fixe.

Jane sent le danger avant de le voir. Le combat a été grisant. Cet homme est captivant. Et son corps contre le sien, alors qu'il la tient à sa merci, la fait frémir bien malgré elle. Lorsqu'elle se retrouve face à lui, elle voit son sourire affamé. Lorsqu'il se penche pour l'embrasser, elle se demande, ce qui chez elle, provoque ce genre de réaction masculine. Il va falloir que Lady Stratton lui explique.

L'éducation de Jane ShawOù les histoires vivent. Découvrez maintenant