78/ La fin d'une saison

1.7K 226 4
                                    

Même si, pour une fois, l'été n'est pas trop chaud, il l'est toujours trop pour Eugénia. Mais elle n'est pas en état de partir. Il lui faut donc supporter l'été londonien. Elle reste le plus souvent possible dans le salon le plus frais de la maison. Il a été réaménagé pour elle, afin qu'elle puisse même y dormir, au besoin. Elle ne se déplace presque plus. Son cœur est à bout de course, et elle sait que le moindre écart la fera sombrer dans la grande nuit sans fin. Maintenant qu'elle s'en trouve si proche, elle n'est pas sûre d'avoir envie de s'y abandonner. Elle lutte.

Jane l'y encourage chaque jour. Depuis que Camilla et elle partagent plusieurs après-midis par semaine, Lady Stratton est rassurée. Elle voit renaître sa fille telle un phénix. Et même si son cœur est encore souffrant, il est en voie de guérison, grâce à la cadette des Carver-Hill.

Mais pas grâce à son frère. Lui, il a disparu de la circulation et des salons.

Contrairement à ce que propagent les rumeurs, il n'est pas dans son domaine de Farmor, puisqu'il participe activement aux sessions parlementaires. Certains le disent amoureux. D'autres, brisés. Personne ne sait de qui ou par qui. D'autres rumeurs parlent de combats clandestins. De paris. De sang.

Jane ne parle pas de lui. Eugénia regrette que sa fille semble avoir fait une croix sur cet homme qui est pourtant fou d'elle, même s'il ne le lui a jamais dit. L'imbécile.

— Allez-vous au dernier bal de la saison, ma chère ?

— Oui, my lady. Camilla m'a proposé sa compagnie, et je crois que nous pourrions nous y amuser.

— Vous y amuser ? Qu'avez-vous fomenté, jeune demoiselle ?

— Oh, rien de bien spectaculaire, mais Lord Grisham est de retour en ville. Et je trouve le couple qu'il forme avec Camilla particulièrement plaisant à côtoyer. Savez-vous qu'il l'appelle « son impétueuse » ! C'est tellement amusant de l'entendre dire cela, avec son air gourmand de gamin...

— C'est vrai que ce Grisham n'est pas conventionnel.

— Mais il est tellement drôle.

— Becker-Smith sera là ?

— Très certainement. Je ne sais pas comment il s'arrange pour savoir à quel endroit je suis. Je le soupçonne d'avoir soudoyé quelqu'un de la maison.

— Ce serait bien son genre. Ces américains...

— Ne soyez pas si dure avec lui. Il est tout à fait charmant. Et ne serait-ce son insistance à vouloir faire de moi son épouse, il serait un compagnon tout à fait plaisant pour passer des après-midis à discuter. Il est très cultivé et a un réel goût pour les arts...

— Voilà qu'il vous plaît !

— Je n'irais pas jusque-là. Mais il ne me déplaît pas, dit Jane en souriant.

— Vous êtes toujours aussi surprenante, ma fille. Avez-vous quelques désirs de lui ?

— Pas du tout. Il me laisse froide comme de la glace. Je le trouve trop timorée à mon goût.

— Lord Carver-Hill et Sir Stevenson vous ont habituée à plus d'impétuosité...

— Madame !

— Je ne dis pas la vérité ?

— Si, mais quelqu'un pourrait vous entendre...

— Je suis sûre que Becker-Smith sait déjà tout de vous. Il attend son heure. C'est tout. Méfiez-vous.


Jane a choisi une robe bleu-gris qui met en valeur ses yeux. Sur n'importe qui d'autre, cette couleur ferait fade. Sur elle, c'est un chef d'œuvre qui dévoile à peine son décolleté et s'ajuste à sa silhouette élancée.

À ses côtés, Camilla n'est pas moins stupéfiante. Elle a choisi une robe vert émeraude audacieusement décolletée dans son dos. Grisham en profite allègrement pour caresser la peau de celle qu'il a hâte d'avoir dans ses bras dans un lieu plus propice au plaisir.

— Mesdames, permettez-moi de vous dire, vous êtes toutes deux les joyaux de cette assemblée.

— Monsieur Beker-Smith, toujours aussi flatteur.

— C'est que j'espère avoir la chance de danser avec vous, mademoiselle Stratton.

— Vous ne vous lassez jamais ?

— Je n'abandonne jamais, dit-il faisant résonner sans le vouloir les mots d'un autre homme dans l'esprit de Jane.

— Et bien dansons alors. Je sais que vous devez repartir bientôt. Je serai bien cruelle de vous refuser quelques danses.

L'éducation de Jane ShawOù les histoires vivent. Découvrez maintenant