60/ Le destin en marche

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Jane s'est jetée à genoux devant Lady Stratton, elle enlace la vieille dame avec ferveur, comme si cette simple étreinte pouvait éloigner la mort de cette femme à laquelle elle s'est attachée plus que de raison. Cette femme qu'elle aime.

— C'est impossible ! Vous ne pouvez pas mourir ! Vous êtes encore si jeune. Pas maintenant !

— Cela ne devrait pas vous attrister autant, vous qui cherchez à me fuir.

— Je ne cherche pas à vous fuir, vous !

— Mais vous alliez le faire...

— Plus maintenant.

— Alors, il faut que je sois mourante pour avoir un peu plus d'importance à vos yeux.

— Pardon, Lady Stratton. Pardon my lady. Je me suis montrée égoïste... Je ne partirai pas. Je vais rester auprès de vous et je vais faire en sorte que vous viviez encore de nombreuses années. Je ne veux pas vous perdre. Je ne peux pas...

— Pourquoi, ma courageuse Jane ? Pourquoi ne pouvez-vous pas me perdre ? demande Lady Stratton submergée par les propres élans de son cœur.

— Parce que je vous aime, madame, dit Jane en enfouissant son visage dans le giron d'Eugénia qui lui caresse les cheveux tendrement. Mon cœur va se briser. Encore.

— Le mien l'est déjà, Jane. Mais je ne veux pas partir dans vos larmes. Je vous veux rayonnante et céleste. Une prodigieuse créature que j'aurai façonné pour le bonheur.

— Seriez-vous une magicienne pour avoir le pouvoir de changer le désespoir en joie ? dit Jane en relevant le visage vers Eugénia qui sourit.

— Pas une magicienne. Une sorcière. Une sorcière avec de grands pouvoirs, dont celui de faire de vous ce que vous méritez d'être, dit-elle en lui tendant un document plié en quatre qu'elle tenait serré sur son cœur.

Jane prend ce qu'elle lui tend et le parcourt rapidement. Son visage pâlit et sa bouche s'arrondit comme ses yeux. Elle est stupéfaite et perd l'équilibre. Elle se retrouve assise sur les fesses à même le sol du jardin d'hiver.

— C'est impossible, madame. Vous n'avez pas fait cela !

— Mais si. Et depuis longtemps, si vous jetez un œil à la date de ce document. Qui n'est qu'une copie d'ailleurs. L'original est entre les mains de mon homme de loi. Un homme de confiance qui s'assurera que toutes mes volontés soient respectées.

— Mais... Je...

— Allons, jeune fille, j'attends un peu plus que des phrases inachevées de votre part, dit Lady Stratton qui a repris de sa superbe.

— My lady, je ne sais pas quoi dire. Faire de moi votre fille... votre héritière... c'est ...

— Inattendu ? Je m'en doute, ma chère. Mais voyez-vous ce jour-là, dans Prior Street, lorsque je vous ai vu avec Joséphine, j'ai su que quelque chose était possible. Une sortie royale ! Un final triomphal ! Un dernier coup d'éclat ! Je suis Lady Stratton Marquise d'Ormondis que diable ! La dernière de ma lignée ! Je ne peux laisser éteindre ce titre ! Et je me dois d'achever cette vie avec panache ! De jeter une dernière fois mon gant à la face de tous ces snobs, ces méprisants, ces petits seigneurs de sang. Je vous l'ai dit Jane, je demeure une égoïste. Je vous jette dans la fosse aux lions sans vergogne ! Mais j'ai pris le temps de vérifier que vous seriez capable de leur tenir tête, de les affronter et de vaincre ! Vous êtes courageuse et incroyablement audacieuse. Vous allez les rendre fous ! Vous me demandiez pourquoi les hommes ne cessaient de vous désirer ? Mais parce que vous êtes LA femme ! Vous êtes cette déesse qui se dresse face à eux et les toise de son mépris, tandis qu'ils rêvent de vous posséder ! Vous êtes inaccessible...

— Pas toujours, lâche Jane en rougissant.

— Stevenson était nécessaire à votre apprentissage. Il a fait ce dont vous aviez besoin. Il vous a ouvert les yeux et les cuisses...

— Madame !

— Quoi ! Madame ! Vous avez maintenant toutes les clés pour rendre à ce monde un peu de son éclat ! Vous allez aider les femmes à prendre la place qui est la leur !

— C'est un grand destin que vous me réservez, dit Jane. Je ne suis pas sûre d'accomplir autant...

— Bien sûr que si ! Vous ferez ce que je n'ai jamais eu le courage de faire ! Votre audace, votre force et ma fortune seront là pour vous soutenir. Sans compter que si je vois clairement l'avenir, vous ne serez pas seule.

L'éducation de Jane ShawOù les histoires vivent. Découvrez maintenant