39/ Ouvrir les yeux

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Marcus était monté sur la passerelle dès qu'il l'avait vue. Il était déterminé à comprendre ce que Lady Stratton attendait de lui, mais aussi savoir ce qu'elle avait voulu dire exactement concernant son grand-père Arthur.

— Lord Carver-Hill.

— Lady Stratton. Préférez-vous rester ici ou vous promener dans les jardins ?

— Direct, comme toujours, my lord.

— Nous n'avons ni l'un ni l'autre de temps à perdre, il me semble.

— Oh, mais moi, j'ai tout mon temps !

— Et bien, ça n'est pas mon cas.

— Très bien, Lord Carver-Hill, alors parlons ici.

— Je crains que nous ne soyons interrompus sans arrêt. La passerelle est étroite et n'est pas privée, il me semble.

— Vous avez raison, dit Lady Stratton en soupirant. Nous allons donc aller nous promener dans le crachin.

— De quoi vouliez-vous m'entretenir, Lady Stratton.

— De quoi pourrais-je bien avoir envie de vous entretenir ? Je me le demande ?

— Madame, gronde-t-il le regard sombre.

— Vous êtes si guindé. Respirez, voulez-vous ? Détendez-vous... Je ne vous veux aucun mal. Au contraire.

— Permettez-moi d'en douter. J'ai plutôt l'impression que vous vous amusez beaucoup de la situation.

— De la situation. Oui. Elle m'amuse, et pour de multiples raisons, mais ne croyez pas que je vais en profiter pour me venger de votre famille.

— Je me demande surtout pourquoi vous souhaiteriez vous venger de ma famille.

— Mais parce qu'elle m'a pris mon unique amour. Qu'elle l'a piétiné sans pitié, détruisant quelque chose de beau et de grand. Et qu'elle m'a privé d'autre chose aussi. D'une chose que je tente d'obtenir à mon grand âge.

— Mais de quoi parlez-vous ?

— De ce que j'ai vécu avec votre grand-père.

— Mon grand-père ? Je n'arrive pas à croire que vous et lui ayez pu avoir une aventure. Il était vieux et vous ! Vous avez à peine l'âge de ma mère ! Si vous aviez parlé de mon père... J'aurais pu y croire.

— Oh ! Mais votre père fait aussi partie de l'histoire. Croyez-moi. Il en est même un acteur majeur !

— Par tous les dieux ! Ne me dites pas que...

Eugénia rit de bon cœur devant les yeux horrifiés de Marcus. Elle s'amuse de le voir choqué. Comme il est plaisant de mettre un homme en difficulté.

— Allons ! J'ai pitié de vous ! Je ne vais pas vous laisser vous enfoncer dans cette spirale infernale que votre imagination fiévreuse a choisi de vous faire suivre.

— Mon imagination fiévreuse...

— Tut ! Tut ! Tut ! Je sais ce dont sont capables les hommes... Laissez-moi vous raconter une histoire. Je vais la faire très courte pour vous qui êtes pressé. Et puis, je ne voudrais pas vous choquer plus encore que vous ne l'êtes. Même si vous êtes un grand garçon et que vous n'ignorez rien des plaisirs de la chair il me semble, dit-elle avec un demi sourire ironique.

Marcus Carver-Hill ne répond rien et la laisse parler. Il écoute attentivement le récit incroyable qu'elle lui offre en cadeau. Car, il en est certain, elle lui révèle le plus grand secret de sa vie. Sans fard, mais sans détails non plus. Elle n'est pas là pour lui faire une confession intime. Mais pour quoi alors ?

— J'ai du mal à croire que le vieillard que j'ai connu ait pu être aussi...

— Enfiévré par l'amour. Avant d'être un vieillard, il a été jeune comme vous.

— Mais vous l'avez connu alors qu'il avait déjà 50 ans !

— 43 pour être exact. Et je lui ai donné dix années de ma jeunesse.

— Vous aviez 15 ans...

— Comme Camilla que vous poussez cependant dans les bras du Comte Grisham de 15 ans son aîné, si je ne me trompe ?

— Mais, pour son âge... elle est très... mûre.

Marcus s'est arrêté. Il commence à entrevoir l'objectif de cette confession.

— Cela ne vous semble plus aussi étrange. Admettez-le. J'étais moi aussi très mûre pour mon âge. Très mature. Et je n'ai jamais regretté ce que j'avais fait. Jamais. Mon seul regret a été le manque de courage de votre grand-père. Mais comme vous le dites, il était déjà vieux pour tous ceux qui l'entouraient, et ils le lui ont bien fait comprendre. Il s'est laissé faire. Avec moi à ses côtés, il n'aurait pas vieilli si vite.

L'éducation de Jane ShawOù les histoires vivent. Découvrez maintenant