9. Evrard

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Evrard sortit de la maison de passe d'un pas titubant. L'alcool et les ébats de Florie l'avaient épuisé. Il aurait aimé rester couché à ses côtés, mais la jeune femme lui avait fait subtilement comprendre qu'il n'était pas son dernier client de la journée. Aussi dû-t-il se résoudre à retourner à la taverne pour se reposer.

Il lui fallut quelques minutes pour remarquer que quelque chose n'allait pas. L'atmosphère avait changé de nature, mais il n'aurait su dire à quoi cela était dû. Grisé par le vin, il plongea la tête dans un tonneau d'eau froide pour remettre ses idées en ordre. Il rejeta la tête en arrière et écouta plus attentivement.

Il y avait toujours les cris de la foule qui s'était regroupée sur l'avenue principale pour assister au cortège, mais ce n'était plus la joie qu'il entendait vibrer dans les voix. C'était la peur, la panique, la colère. Evrard les percevait distinctement, il avait si souvent entendu ces cris sur les champs de bataille.

— Mordiable ! jura-t-il entre ses dents. Que se passe-t-il encore ?

Il pressa le pas en direction de la rue principale. Lorsqu'il déboucha de la ruelle, il constata le chaos qui y régnait. Les carrosses étaient immobilisés par une foule compacte que les gardes de la reine Catherine avaient bien du mal à contenir. Les gens poussaient, se bousculaient, trébuchaient les uns contre les autres comme les vagues d'une mer déchaînée.

Evrard scruta les environs, mais dû se rendre à l'évidence qu'il ne pouvait apporter aucune aide à quiconque. Et il ne voulait pas que les gardes royaux le découvrent. Poussant un long soupir résigné, il tourna les talons en songeant au nombre de blessés que les habitants auront à déplorer dans quelques heures.

Il suivit les dédales des ruelles désertes jusqu'à la taverne. Plus il s'éloignait de l'agitation, plus le silence l'enveloppait. Même ses pas semblaient s'étouffer. Evrard se tint en alerte, prêt à parer la moindre attaque qui pouvait lui tomber dessus dans ce coupe-gorge.

Alors qu'il s'apprêtait à tourner à l'angle d'une maison, il fit brusquement un pas en arrière pour retourner dans l'ombre. Une fraction de seconde lui avait suffi à réagir face à la scène malsaine qu'il venait d'entrapercevoir. Une jeune femme, maintenue par deux hommes, s'apprêtait à connaître un sort terrible.

— S'il vous plaît... Laissez-moi...

Sa voix était faible, implorante, et les rires de ses tortionnaires étaient cruels. Elle n'avait pas la moindre chance. Si Evrard n'agissait pas, s'il rebroussait chemin et ignorait la malheureuse, elle finirait ses jours dans la douleur et la honte. Il ne pouvait permettre une telle chose.

De plus, il avait bien besoin d'exercice, songea-t-il en faisant craquer ses phalanges.

Le Chevalier sortit de sa cachette et se dirigea vers les hommes d'un pas assuré. Ils s'interrompirent brusquement lorsqu'ils le virent s'approcher. Il s'immobilisa et les regarda tour à tour. Ces futurs adversaires n'étaient ni impressionnants ni redoutables. L'un était gras, l'autre maigre et sec. Quant à la jeune femme coincée entre eux et que les vauriens s'apprêtaient à violenter, il ne faisait aucun doute qu'elle appartenait à la noblesse. Sa robe, bien qu'en lambeaux, était faite de la plus belle soierie. Des larmes perlaient sur son visage pâle, ses petites mains tentaient vainement de repousser l'homme qui essayait d'arracher son corsage. Avec sa silhouette gracile, elle ressemblait à un agneau pris au piège.

— Passe ton chemin ! beugla le plus gras des deux. Cette putain est à nous, on partage pas avec les bélîtres !

— Deux boursemolles comme vous n'auraient même pas de quoi satisfaire une chèvre, répliqua-t-il échauffant ses poignets avant de frapper.

Bandit HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant