41. Evrard

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— Agréable dîner, n'est-ce pas, Guislain ? railla Rodolphe en le poussant dans sa cellule.

Evrard lui lança un regard noir.

— Je constate que Gauthier est toujours aussi habile pour détourner la vérité dans son propre intérêt, asséna-t-il. Je n'ai jamais entendu autant de couillonnades en si peu de temps !

— Oui, oui, c'est un beau parleur...soupira-t-il. Et alors ? Il a le pouvoir de rayer ses ennemis de son chemin et il en profite, quel est le mal ?

— Avoue que tu te moques de savoir si je suis innocent ou non. Gauthier pourrait te demander de courir après un âne, tu le ferais, rien que pour recevoir ta prime.

— Détrompe-toi, j'ai un compte personnel à régler avec toi. Et si je peux être payé pour le faire, je n'y vois aucun inconvénient.

Le Chevalier poussa un soupir exaspéré :

— Toujours cette vieille rengaine ! Tu n'as jamais supporté que mon père ait préféré s'unir à la famille De Néel plutôt qu'à celle De Lacy !

Toute la haine qui déchirait les deux hommes se tenait à cela. Un choix. Une décision qu'avait pris Aymeric De Ferrand, alors veuf de sa première épouse après qu'elle ait donné naissance à son deuxième fils. Dans le conflit politique qui divisait la Normandie, il avait préféré la beauté timide d'Aude De Néel au caractère impulsif d'Isild De Lacy. Par cette union stratégique, Aymeric avait ainsi vu son autorité décuplée sur la région. Aude lui donna alors son dernier héritier mâle, Guislain. Evincée d'un si bon parti et du titre de comtesse, Isild avait dû se contenter d'un époux de plus petite noblesse, et avait transmis son amertume, sa rancœur et son écœurement à son fils Rodolphe.

— Curieux comme certains destins se croisent et s'entrelacent au cours d'une vie, non ? feula le mercenaire. Dire que sur une simple décision, j'aurais pu avoir tout ce que toi tu as eu.

— Tu veux peut-être qu'on échange nos places ? railla Evrard en désignant les barreaux de sa cellule d'un geste moqueur. Gauthier ne se serait pas montré plus attentionné envers toi qu'il ne l'a été avec moi. Par le sang de notre père, nous sommes frères. Mais à ses yeux, je n'ai toujours été qu'un bâtard.

— Tu t'attends à ce que je te plaigne ? J'ai supporté les caprices de Gauthier autant que toi.

Le mercenaire avait un ton résigné qui ne lui était pas familier. Durant un moment insensé, Evrard eu presque de la peine pour lui. Rodolphe dû s'en rendre compte car il se ressaisit aussitôt.

— Je serai bientôt débarrassé de toi, Guislain, indiqua-t-il en retrouvant sa voix perfide. Et lorsque tu pendras au bout d'une corde, je m'occuperai de ton amie.

— Catriona ? demanda-t-il en sentant un frisson lui parcourir la colonne vertébrale. Qu'est-ce que tu comptes lui infliger ?

— Ne t'inquiète pas, je saurai prendre soin d'elle.

— Comme des autres ?

— Non, elle, elle ne risque rien ; sa noblesse la rend bien plus utile vivante que morte. De plus, la Cour la recherche activement. Le Roi n'apprécie visiblement pas qu'on lui fausse compagnie sans lui demander l'autorisation.

— Pas plus qu'il n'apprécie que des pendards de mon genre se promènent librement dans son royaume, n'est-ce pas ? ironisa-t-il.

— La petite princesse sera vite pardonnée, répliqua Rodolphe en haussant les épaules. Elle prétextera une lubie soudaine de partir à l'aventure avant de se marier, ou qu'en sais-je d'autre. Si Gauthier me l'autorise, je la raccompagnerai personnellement jusqu'à Amboise ; la belle enfant aura besoin d'un nouveau protecteur. Il se pourrait même qu'en cours de route, elle finisse par m'apprécier.

Bandit HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant